Bandeau.

Le trajet-aller amputait la journée d'une grosse demi-heure, durée nécessaire pour parcourir à pied le kilomètre et demi séparant Villée, hameau situé à l'extrême est de la commune, au centre de Sougé. Le plus éloigné de ce côté-ci du village était Gérard qui cheminait souvent seul en dernière position. Il avait toujours le temps : arriver en retard ? "ça fait ren pisque l' maît' y dit ren !". Une demi-douzaine de garçons partaient du "fond de Villée" : Dédé, le plus âgé et sûrement le porteur de plus de potentialités intellectuelles, Michel en compagnie de camarades de l'assistance publique que gardait sa mère, André et son frère Alain, André et son frère Daniel, et plus tard le Petit Maurice, cadet de six ans de Dédé. Quelques filles démarraient aussi de cette zone : Danielle, Raymonde et ses sœurs jumelles Jacqueline et Madeleine, plus jeunes de quelques années, ainsi que Sylvie au niveau du "carroi". Parfois, cette communauté pouvait agglomérer quelques enfants de la "Herserie". En arrivant près du bourg, "Le Petit Vau" gonflait le flot des écoliers : Marcel et ses sœurs Raymonde et Françoise, Michel et sa sœur. Pour terminer, Jacky, Daniel et leurs sœurs Liliane et Françoise arrivaient du "Grand Vau". Tout ce petit monde progressait couramment en petits groupes éparpillés selon leur départ, rarement en gros troupeau.

 

En arrivant au niveau du portail de l'école, la troupe en provenance de l'est se mêlait aux petits sougéens de la localité en particulier Gérard ou encore Michel que ses qualités humaines conduisirent plus tard à la fonction de maire. Bernard et quelques autres arrivaient de l'extrême ouest de l'agglomération, retrouvant parfois Dominique du "Marais". Certains, Bernard ou Gérard, descendaient des "Hauts", notamment de "La Roche", après un parcours de plusieurs kilomètres. Lorsque les jours se montraient chiches sur leur durée, ils étaient autorisés à grappiller quelques minutes aux deux extrémités du temps scolaire, une bien modeste récompense en regard de leur vaillance quotidienne. Bernard a probablement utilisé ces difficultés matérielles pour se forger un caractère trempé. En effet, sa  témérité l'a amené, avec succès, à des responsabilités locales majeures : édile, puis conseiller général.

 
Le retour s'effectuait généralement de façon plus compacte et moins directe, plus lentement. Selon l'époque, une halte sous les noyers ou les néfliers bordant la voie permettait un goûter inaccoutumé. Au moment des vendanges, un détour autorisé vers les vignes constituait un cadeau hors du commun. Parfois, inspiré par les profondes ornières du chemin raviné par les pluies violentes, Dédé emmenait la troupe sous sa coupe comme un caporal dans les tranchées bravant un ennemi imaginaire invisible. L'hiver, par temps gris, froid et pluvieux, un lourd capuchon en caoutchouc épais isolait complètement des intempéries extérieures, la tête abritée sous la capuche. A l'arrivée, un vin chaud parfumé, mélange de vin coupé d'eau sucrée et d'épices, améliorait la collation habituelle en procurant chaleur et réconfort.