Bandeau.

C'est à la fin de la troisième que commençait une longue série d'activités rémunérées pendant les vacances estivales. Jacky s'était engagé à travailler à la champignonnière où son père était employé. "Les Roches-l'Evèque" était un village troglodytique situé à quelques kilomètres de Montoire-sur-le-Loir dont les caves de tuf représentaient un endroit favorable à la culture des champignons de Paris. Sachant que d'autres emplois de ce type étaient disponibles, il avait proposé de l'accompagner pendant la saison. Après un trajet d'une bonne demi-heure à vélo (une quinzaine de kilomètres), les journées de travail, du lundi au samedi inclus, duraient dix heures.
 
Pendant la première partie, la tâche imposée consistait en l'entretien des armatures métalliques d'un immense hangar. Sous ce bâtiment était préparé l'amendement utilisé ultérieurement comme support à l'ensemencement. Il se composait de fumier de cheval et de paille mélangés à de l'ammoniaque, et abondamment arrosés d'eau. Cette mixtion, régulièrement retournée à l'aide de gros tractopelles pour une meilleure homogénéisation, provoquait un dégagement gazeux nocif pour le métal... et probablement pour les humains qui le subissait. L'opération prescrite comportait deux étapes. Dans un premier temps, un décapage des barres par brossage enlevait les morceaux de fer rouillés qui commençaient à se détacher. Ensuite, elles étaient recouvertes, à l'aide d'un pinceau, de peinture antirouille à base de minium d'une éclatante couleur orangée et composée en partie d'oxyde de plomb. Ces travaux s'accomplissaient sur deux bastings de vingt centimètres de large et de dix mètres de long posés sur l'ossature à douze mètres au dessus du sol. Lors des déplacements, à chaque pas, le fléchissement des pièces de bois alternait de l'une à l'autre avec un écart atteignant une dizaine de centimètres. Difficile pour qui avait le vertige !
 
La seconde période était employée majoritairement à la fabrication et la réparation des caisses en bois destinées à recevoir le substrat ensemencé. Elles étaient réalisées en planches d'une quinzaine de centimètres de largeur et mesuraient environ un mètre sur quarante centimètres. Quatre tasseaux de section carrée servaient d'armature et de poignée pour le transport. Le tout était assemblé par des clous enfoncés en deux coups de marteau. 
 
Quelques fois, notamment les jours fériés, la cueillette demandait des bras supplémentaires. Lampe CarbureAlors que les employés s'éclairaient avec une lampe à carbure tenue à la main, les jeunes temporaires étaient équipés d'une lampe frontale munie d'une lourde batterie attachée à la ceinture. Les cueilleurs se déplaçaient dans une pénombre permanente entre les rangées d'une quinzaine de caisses empilées l'une aux extrémités de deux autres. Ils ramassaient les petites têtes rondes et blanches qui apparaissaient à la surface brune du terreau, les plaçaient dans le panier qu'ils faisaient suivre. Lorsqu'il était rempli, celui-ci était placé sur un plateau tracté par une jeep avant d'être ramené à l'entrée de la grotte pour l'opération suivante : stockage et expédition.
 
C'est ainsi que ces premières vacances laborieuses opéraient un vrai vide au niveau mental. Beaucoup de temps avait défilé dans l'action physique, une quantité importante d'énergie s'était dissipée. Mais à leur terme, une immense satisfaction comblait l'adolescent. Il savourait intérieurement, avec une fierté intense mais saine, le bonheur de posséder de son argent, une somme conséquente "récoltée à la sueur de son front" !