Bandeau.

Pour être en mesure d'accueillir un nombre croissant d'élèves dans les mêmes locaux, un système de ramassage scolaire a été mis en place lors de la rentrée en quatrième. Une nouvelle catégorie d'élèves s'intercalait entre les internes ruraux et les externes montoiriens. Les demi-pensionnaires utilisaient le car pour aller au cours complémentaire le matin et revenir le soir, le déjeuner étant pris au réfectoire. Plusieurs circuits partaient en étoile depuis Montoire sur le Loir de manière à couvrir la majorité de la zone de recrutement. L'un d'eux s'orientait vers l'ouest jusqu'à Couture sur le Loir. Il empruntait la route nationale entre Trôo et Sougé sur Braye en passant à quelques hectomètres de Villée
 
Après deux ans de pensionnat, l'option de la demi-pension s'était imposée naturellement. Ainsi, chaque matin d'école, les trois cents mètres étaient parcourus pour aller à l'arrêt du bus. D'ailleurs, c'était souvent lui le premier arrivé et il devait attendre quelques instants ! La descente matinale était généralement plus une course rapide, haletante qu'une marche sereine propice à l'appréciation de la nature. Parfois même, le bruit de son moteur s'entendait dès l'ouverture de la porte de la maison. La demi-heure de trajet était consacrée aux révisions ultimes, quelques fois aux apprentissages omis... Le retour était plus calme : pas d'activité scolaire et pas de sprint ! A l'arrivée, avant de commencer les devoirs, une pause de quelques minutes était agrémentée d'un goûter exquis et réparateur. Il s'agissait presque toujours d'une composition personnelle : mélange d'un demi fromage blanc frais et d'un demi pot de confitures de fruits de la propriété (prunes, poires, cassis, groseilles...) confectionnées par Ida.
 
Ce changement de régime a induit une grande, voire totale, liberté dans la gestion de l'emploi du temps des jeudis. Une telle situation inédite engageait vers une multitude de possibles dans l'assouvissement de besoins profonds d'action insolite, de vie présente intense. Généralement, la matinée était réservée aux travaux scolaires imposés et consommateurs de temps : rédaction, cartes de géographie, recherches diverses... Les après-midi obéissaient aux choix spontanés, aux impulsions inopinées du moment. Après quelques essais infructueux d'activités sur Montoire, c'est Chenillé, à deux kilomètres de Villée, qui se montrait le plus attrayant, pas par ce petit hameau banal de Trôo mais par un certain Romain qui y résidait. Son père, Marcel, était un précurseur en son temps, il connaissait les progrès du présent et en percevait immédiatement les bénéfices possibles. Ainsi, il était un des rares ruraux de cette époque à posséder la télévision et à visionner les émissions "cultes" des débuts du petit écran. C'est très certainement la piste aux étoiles qui inspira Romain dans les acrobaties sur deux roues. Suite à la proximité humaine et géographique, le collégien de Villée était rapidement contaminé. Le vieux vélo de Constant qui séjournait au grenier depuis son décès retrouvait le sol. Il se voyait dépouillé de tout le superflu, l'inutile pour rouler. Deux points de soudure sur sa roue libre créaient un pignon fixe, ce qui facilitait le déplacement sur la roue arrière uniquement. L'émulation engendrait d'autres tours plus ou moins faciles, plus ou moins spectaculaires... mais à des lieues du "freestyle" actuel ! Quelques temps plus tard, la propulsion humaine a cédé la place à la motorisation. Romain possédait plusieurs motos tout terrain et pratiquait le "motocross" sur un terrain familial pentu et en partie boisé. La première participation à cette activité s'est effectuée sur une Peugeot de soixante-quinze centimètres cubes et sans frein. Avant de commencer le parcours bien accidenté, Romain prodiguait ses conseils  éclairés : "Tu me suis. Pour ralentir, tu décompresses en tirant sur cette petite manette - un petit levier à portée de l'index..." Effectivement, cette action permettait une décélération de l'engin qui, associée à son inertie, le ralentissait jusqu'à l'arrêt... au bout d'un certain temps. Au sommet du trajet, la vue sur sa partie descendante apportait un flux d'adrénaline considérable. Mais le "contrat" devait être respecté ! Finalement, en bas de la côte, l'arrivée dans un fossé évacuait toute appréhension et obligeait à une réaction immédiate pour repartir, éventuellement à l'aide du pied... De la satisfaction des sueurs froides surmontées était né un engouement, presque une passion, pour cette activité. Régulièrement, Marcel "créait" des pannes sur les motos, tantôt au niveau de l'allumage, tantôt au niveau de la carburation. Dès les incidents provoqués découverts et les réparations effectuées, le pilotage, donc le plaisir, pouvait commencer. En cas de difficultés, Marcel intervenait pour apporter une aide sur le plan de l'analyse fonctionnelle de la situation et de la stratégie à adopter, sans donner la solution directement. Cette attitude positive et formatrice a eu un impact favorable sur l'orientation ultérieure. 
 
Les institutions cherchaient régulièrement de nouvelles "recettes" pédagogiques et des établissements pour les tester. Aussi, l'expérimentation de l'enseignement d'une deuxième langue étrangère, en l'occurrence l'allemand, en plus des sciences physiques a été réalisée dans la quatrième et la troisième B. La méthode d'apprentissage pratiquée reflétait l'image usuelle, communément véhiculée, de la culture d'outre-Rhin : rigueur et austérité. Les exigences fortes, strictes voire tatillonnes, surtout au niveau de la prononciation, n'engendraient pas un attrait immédiat. Elles amplifiaient de surcroit l'impression de sévérité de ce parler inhabituellement guttural. Peu enthousiasmés par l'approche proposée, les élèves conservaient toutefois un bon aperçu des mœurs, à la fois proches et éloignées, de ce pays voisin.