Bandeau.

La première surprise a été, lors de l'arrivée à l'internat, la vision de l'amoncellement du mobilier uniforme dans le dortoir démesuré situé au premier étage du bâtiment. En arrivant sur le palier, les jeunes enfants voyaient, par l'ouverture de la porte à deux battants, une longue file d'armoires alignées dans l'axe longitudinal de la pièce. Accolées dos à dos, elles faisaient face, de chaque côté, à une série d'ensembles de quatre lits tête à tête et agencés en étoile à partir de leur propre table de chevet.
 
La réalité de l'internat a constitué un second étonnement : la promiscuité induite et le rythme régulier et imposé de la vie. Les activités des pensionnaires se réalisaient en même temps et au même lieu : lever et coucher au signal du surveillant, passage dans la salle des lavabos ou des douches pour la toilette, prise des repas au réfectoire, préparation ou dépose du matériel nécessaire à la demi-journée de cours, période de travail en salle d'étude, moments de détente, sorties du jeudi (jour de repos hebdomadaire)... Il s'effectuait des mouvements de masse de façon réglée et routinière tout au long des journées, des semaines, des mois...
 
Le retour dans la famille en fin de semaine a donné naissance à un nouveau rituel. La sortie du cours complémentaire s'effectuait après la fin des cours le samedi à dix-sept heures. Un groupe de quelques enfants s'évadait la valise à la main sous la conduite d'une "grande" de troisième, Annie, la fille de monsieur B. La petite troupe, guillerette, descendait l'avenue Gambetta sur huit cents mètres jusqu'à la place du Maréchal Foch. Elle attendait l'arrivée du car qui provenait de Vendôme et se dirigeait vers son terminus, Pont-de-Braye, en marquant une halte dans les villages traversés. Après une demi-heure de route, le véhicule s'arrêtait exceptionnellement, à la demande, au niveau du hameau de "Villée".
 
Un autre aspect déroutant est apparu dans le phénomène de divisions, de partitions sur le plan scolaire. En premier lieu, un classement dichotomique matérialisé par les lettres "A" et "B" déterminait une hiérarchie pour chaque niveau. Les critères de ce clivage devaient avoir leurs justifications objectives, mais il était préférable d'intégrer la catégorie noble dès le début ! Le changement et la mixité étaient difficiles. Le découpage des journées en "tranches" successives constituait un deuxième exemple constaté de fragmentation. Chacune de ces plages se caractérisait par une heure, une matière, un enseignant dans un agencement sans cohérence décelable. Les sensations provoquées par ce morcellement se trouvaient amplifiées par le comportement, l'attitude, la prestance de l'adulte, la résonnance qu'il dégageait.
 
Un fait, en apparence anodin, s'est révélé à l'origine d'une confusion : le libre choix de la place dans la salle de classe. Aussi, en tant que dernier, ou presque, entré dans la pièce, les seuls endroits disponibles se situaient au fond, loin de la porte, du tableau, du bureau.
 
La nouveauté institutionnelle était l'enseignement de l'anglais. En sixième, c'était Madame A qui avait eu la tâche d'en inculquer les rudiments. Elle agitait ses figurines dessinées sur un carton d'un format A4. Le "big pig pink", rond et rose, rivalisait d'élégance et d'agilité avec le noir et moustachu "black cat" pour illustrer les sons. Elle avait demandé de dessiner et colorier, avec la couleur adéquate, l'animal correspondant en regard des quelques mots écrits sur le cahier. A la séance suivante, le lendemain, après vérification rigoureuse des réalisations individuelles, elle avait tancé, avec force cris et menaces, le mauvais élève qui n'avait pas obtempéré. Il avait en effet trouvé le temps très long, s'était beaucoup ennuyé, mais il n'avait pas perçu la fonction de l'étude du soir : tout ne peut s'inventer ! Toujours avec son allure stricte et revêche, elle présentait, dans le même style, les chiffres, les dates, les règles essentielles de grammaire... Plus décontracté, moins apprêté, Monsieur L l'avait remplacée en cinquième. Sa pédagogie et ses méthodes reflétaient autant de différences que leurs aspects respectifs. L'apprentissage de chants, le fameux "Jingle bells" par exemple, se faisait avec son accompagnement à la guitare. Les interrogations écrites, courtes et relativement fréquentes, ne demandaient que quelques minutes pour répondre en un mot aux vingt questions numérotées. Il récupérait immédiatement les feuilles "remontées" des rangées de table en table et les redistribuait en prenant soin de les éloigner de leur auteur. La correction collective permettait à chaque élève d'annoter la copie reçue : valider la réponse ou relever les erreurs et écrire la forme exacte. Il emmenait le paquet pour vérification, mais chacun connaissait pratiquement sa note dès la fin de la séance. Monsieur L faisait aussi fonction de professeur d'éducation physique et sportive. Il relevait les jambes de son pantalon de trois ou quatre tours et, revêtu de la tenue idoine, il se lançait sur le stade avec ses élèves... Manifestement, cette activité représentait un complément de son horaire officiel !
 
Le sport a été une des plus importantes découvertes de cette période. En premier, le football était celui pratiqué le plus souvent, sur un espace herbeux central. Une zone spécifique était matérialisée pour le hand-ball, le basket-ball et le volley-ball. Ces activités physiques collectives engendraient l'apprentissage, la connaissance et le respect de leurs règles. L'athlétisme avait aussi une part d'installations : pistes de sprint et de fond, bacs à sable pour les sauts en hauteur et en longueur... Ses techniques étaient enseignées et faisaient l'objet d'entrainements réguliers. Le rugby ne se pratiquait qu'à la télévision le samedi après-midi lors des matchs du tournoi des "cinq nations", grâce à la volonté de Monsieur L, le directeur de l'époque.
 
Un jeu de mots malvenu ou mal compris pouvait entrainer des conséquences malheureuses à son auteur. "Tartuffe" figurait ce jour-là au programme du cours de français. Au fond de la salle, Bernard entendit l'expression "gens de biens" lors de la lecture du texte de Molière. Aussitôt, sans réfléchir et sans retenue, il se leva d'un bond vif en criant "Gendebien". En même temps, il imitait le pilote dans son bolide en simulant la tenue d'un volant imaginaire. Une punition récompensa cette homophonie... A-t-elle été motivée par la méconnaissance de ce sportif ? Une répartie trop éloignée de la littérature ? Une crainte de déstabilisation ?  Une réaction spontanée ? Une manifestation d'autorité ? Un manque d'humour ? 
 
L'occupation habituelle de l'après-midi du jeudi, jour de repos hebdomadaire, a permis de concrétiser des notions historiques et géographiques étudiées scolairement, en associant des images réelles. Elle consistait généralement en une promenade en groupe et encadrée par un surveillant. Cette sortie pédestre de plusieurs heures autour de la ville pouvait s'orienter dans toutes les directions. Cependant quelques destinations étaient préférées des écoliers : le château médiéval de  Lavardin et le tunnel de Saint-Rimay.