Bandeau.

Après deux ans d'une vie relativement autonome, le retour à l'internat devenait à nouveau une obligation. La réapparition de cette situation s'opérait dans des conditions nouvelles, différentes. Le premier changement saisissait dès l'arrivée : un nombre imposant de pensionnaires occupait presque tout l'espace extérieur du lycée. Cette masse humaine se répartissait dans les dortoirs sur trois étages. Chaque chambrée était traversée par un vaste couloir qui desservait d'un côté des lavabos accolés sur toute la largeur, de l'autre six à huit box. Chacun d'eux contenait deux rangées de quatre lits séparées par une large allée. 
 
L'horaire scolaire, de huit à douze heures le matin et de quatorze à dix-huit heures l'après-midi, imprégnait le rythme de la vie du pensionnat. Un temps important était prévu pour le travail personnel en "permanence" : une heure après le petit-déjeuner avant le début des cours, pendant la pause du déjeuner, entre la fin des cours et le dîner et enfin deux heures avant la montée au dortoir. Ainsi la durée de sommeil était de huit heures, de vingt-deux heures trente à six heures trente. Les réveils étaient généralement difficiles. Une demi-journée (plus de douze heures) d'activité et de tension intellectuelles engendrait beaucoup de fatigue et nécessitait une importante période de récupération.
 
La gestion des séances de permanence des "potaches" dépendait de leur personnalité et du moment de la journée. Le matin et le midi, elles permettaient, généralement, les dernières (ré)visions avant l'entrée en cours des quatre heures suivantes. Les fins de journée étaient consacrées aux travaux écrits consommateurs de temps : la majorité des élèves effectuait le travail demandé pour le lendemain. Quelques uns, plus organisés, anticipaient en lisant plus avant le cahier de texte. Ainsi Daniel, camarade du cours complémentaire, retournait dans sa famille une fois par quinzaine. Pendant le dimanche passé à l'internat, il accomplissait tout ce qui était prévu pour la semaine et passait son temps d'étude à parcourir le "Larousse"... Quelques uns, très rares, préparaient des "antisèche" en prévisions des interrogations écrites !
 
Les deux années de première et terminale, Dudule occupait la place de la première rangée de bureaux personnels le long de l'allée centrale située le plus près du tableau, au pied de l'estrade du surveillant. Après un long moment de cogitation besogneuse, il se relevait, les idées embrumées, et claironnait les bras levés à la verticale : "le mammouth !". A ce signal, tous ses compagnons assis derrière lui cessaient leur activité et imitaient ses gestes. En suivant sa cadence, la file exécutait un mouvement alternatif des bras d'avant en arrière : ils branlaient l'énorme animal préhistorique imaginaire !
 
Le trajet La Loupe-Le Mans s'effectuait en une heure de train. Généralement, l'omnibus faisait entendre son bruit métallique si caractéristique dès la fermeture de la porte. Alors les quatre cents mètres de la rue de la gare étaient dévalés à grandes foulées dans une course rapide. A l'intérieur, l'atmosphère semblait pesante, triste : tous les passagers, adultes ou étudiants, partaient remplir une journée ou une semaine d'activité dans un volontariat tout à fait relatif. Certains plongeaient leur regard et leurs pensées dans une lecture, d'autres compensaient une insuffisance de travail pendant le dimanche dans un apprentissage de dernière minute, quelques uns dodelinaient de la tête les yeux fermés et le cerveau endormi. La distance de la gare au lycée devait être effectuée à allure soutenue : au delà des dix minutes, c'était l'arrivée en retard au premier cours. Le samedi, le faible écart, environ un quart d'heure, entre la sonnerie de fin de la semaine et le coup de sifflet du chef de gare exigeait la même hâte. Ensuite, assis dans l'express, les adolescents se relâchaient, un vide s'installait dans les têtes, une décontraction s'emparait des corps. Seuls les muscles abdominaux et zygomatiques se contractaient par saccades rapprochées, les uns comprimaient le diaphragme, les autres déformaient harmonieusement le visage : c'était une heure de franche rigolade.
 
Une mention spécifique précisait le point suivant du règlement : "port obligatoire de la blouse". Comportait-elle une annotation complémentaire sur sa couleur ? Mais un fait frappait l'œil extérieur qui s'aventurait en direction de la cour : elle reflétait une marée bleue tout en nuances que les déplacements faisaient onduler. En plus, ce vêtement devait être boutonné. Lorsque le proviseur, en traversant cet espace azur, apercevait les deux pans d'une tenue flotter séparément, il interpellait immédiatement le contrevenant. Il lui enjoignait de les solidariser par une action simple et naturelle : l'assemblage des boutons et des boutonnières.
 
Des possibilités d'évasion de cet enfermement scolaire existaient. Ainsi, une salle de musique avec quelques instruments dont un piano et une batterie était à disposition des intéressés. Elle offrait cependant des potentialités réduites en regard de la demande à la fois des musiciens confirmés et des adeptes de l'échappée de la routine de l'internat. Un petit orchestre s'était constitué au sein de l'établissement. Il interprétait principalement du rock'n roll, musique en vogue à l'époque propagée par Jerry Lee LewisElvis Presley, ou The BeattlesThe Rolling Stones... Des opportunités de sortie de l'enceinte du lycée sans "faire le mur" dépendaient des programmations de la ville du moment : cinéma, théâtre, concert... Il "suffisait" de présenter une autorisation des autorités familiales. Son origine pouvait émaner de plusieurs sources : rédaction et signature immédiates sur le bureau voisin ou remplissage d'une page émargée antérieurement...