Bandeau.

La première escapade de Dakar s'effectuait sous la houlette du directeur du BLACT. Monsieur F. dirigeait une petite troupe de plusieurs véhicules vers les Niayes, cette zone du littoral nord du Sénégal. Du Plateau, la longue avenue Lamine Gueye descendait vers l'unique autoroute du pays. Le trajet se poursuivait sur la route de Rufisque, la première agglomération urbaine importante en direction de la brousse. Le ruban asphalté progressait de manière rectiligne sur une bande sableuse de quelques mètres de large. Au-delà, des habitations clairsemées et des entrepôts semblaient posés sur l'étendue ocre meuble et mouvante. Parfois des buissons chétifs d'épineux ou un îlot de majestueux cocotiers rompaient la monotonie du paysage par une touche de vert dans ce spectacle solaire. A l'ombre de ces élégants bienfaiteurs, des autochtones munis de leur coupe-coupe proposaient leurs fruits savoureux et riches. Quelques coups judicieusement assénés avec élégance et précision suffisaient à rendre immédiatement consommables l'eau et la pulpe de ces noix de coco.

 
Au fur et à mesure du défilement des kilomètres, la densité des indices de vie s'évanouissait alors que les impressions visuelles s'amplifiaient. Des contrastes saisissants magnifiaient les émotions avec force et de manière indélébile : le doré du sable détonnait dans l'azur du ciel rendu limpide par les doux alizés ; l'uniformité de l'immensité happait l'apparente vacuité de l'espace ; le cadre inhospitalier du site générait une profonde et franche attirance, une fascination naissante indicible ; la luxuriance verte de zones maraîchères et de bosquets d'eucalyptus odorants s'opposait à d'imposantes dunes d'allure stérile et figée... Cette singulière et savoureuse aventure extra-citadine débutait la liste de découvertes futures.  
 
En poursuivant vers le Sénégal septentrional, la route continuait sa progression lancinante dans ce décor ocré faiblement nuancé jusqu'à Saint-Louis. Pont Faidherbe.L'accès à la ville historique insulaire s'effectuait par le pont Faidherbe, un ouvrage métallique construit à la fin du dix-huitième siècle sur le fleuve qui nommait le pays. A l'arrivée sur le sol îlien, en face du bâtiment de l'administration de même nom, l'hotel de la poste imposait sa façade de style colonial. Conséquence de l'importance de la cité et donc du besoin démographique, l'urbanisation occupait l'île dans son intégralité. Selon les règles établies de l'époque, elle zonait le territoire en un quadrillage régulier et rigoureux par des rues parallèles et perpendiculaires. De l'autre bord du fleuve, s'étirait la Mauritanie et ses ondulations rubigineuses caractéristiques du désert. Plus à l'est la rive gauche de la rivière bénéficiait de ses crues annuelles : l'immense espace marécageux du Djoudj constituait le parc national des oiseaux, le paradis des oiseaux migrateurs ; les alentours de Richard Toll se couvraient de champs de cannes à sucre à perte de vue pour la fabrication de cette douceur tant recherchée notamment pour la confection du thé à la menthe ; de manière plus éparse, des cultures maraîchères variées s'étendaient jusqu'à Podor qui marquait la fin de la possibilité de navigation. 
 
 
Globalement, les routes empruntées se trouvaient dans un état correct et ces déplacements se déroulaient dans des conditions satisfaisantes. Toutefois, la conduite nécessitait une vigilance constante car des animaux, chiens ou zébus entre autres, pouvaient surgir et traverser la chaussée intempestivement. Parfois des aléas de la circulation émanant de l'espèce humaine présentaient un caractère cocasse et surprenant, voire ubuesque. Ainsi, à quelques centaines de mètres d'un virage situé au début d'un village, un gendarme se postait sur la voie, le sifflet à la bouche, le bras droit plié à l'équerre et l'autre en direction du bas-côté. Dès l'arrêt du véhicule, l'homme en uniforme bleu effectuait un salut militaire d'un geste solennel partant de son képi crânement porté. Il prononçait cette phrase : « Vous étiez en excès de vitesse ! ». Sans attendre la moindre réaction, il poursuivait avec le même ton assuré et posé : « Du virage au panneau, vous avez mis dix secondes. En faisant la règle de trois, votre vitesse était donc supérieure à celle autorisée. » Ces propos francs et limpides et ce raisonnement imparable émis par un représentant de la maréchaussée, assermenté, ne pouvaient se contester. La seule discussion possible se situait au niveau de la hauteur du bakchich attendu...

Choisir de s'éloigner de Dakar en s'évadant vers l'est, c'était découvrir et affronter la rudesse du Sahel. La douceur du climat côtier s'estompait au détriment d'une chaleur intense, souvent oppressante.  La verdeur et la variété de la végétation hydratée par les embruns de l'océan se muaient en un beige terne de l'immense et monotone surface sableuse s'étendant à l'infini. La touffeur de l'atmosphère augmentait la fadeur de la vue qui se diluait au loin en un mirage ondulant. Parfois les conditions météorologiques favorisaient un vent de sable. Alors l'air torride violemment projeté à l'horizontale se chargeait de poussières qui cinglaient le visage et pénétraient les orifices, notamment les yeux. A cette désagréable et pénible gène ressentie s'ajoutait une impression d'enfermement dans une bulle ouatée diminuant la visibilité à quelques mètres. Sur ces étendues semi-désertiques, la vie végétale se réduisait à un échantillonnage restreint. Baobab.Majestueux, solitaires, en apparence séculaires et à la fois massifs et aériens, les baobabs arboraient de minuscules feuilles et s'enguirlandaient de leurs fruits, les pains de singe. De rares forêts d'épineux clairsemés constituaient des réserves de nourriture et d'eau pour certains herbivores téméraires. Une majorité d'entre elles avaient disparu, décimées pour les usages domestiques et surtout pour la fabrication du charbon de bois. L'incursion au cœur du Sénégal oriental se terminait sur plusieurs centaines de kilomètres en roulant sur une piste de latérite. Les passages répétés des véhicules et l'érosion lui conféraient un aspect de tôle ondulée. Deux difficultés importantes advenaient lors de la conduite automobile sur cette surface. D'une part, le nuage de terre rouge écourtait la distance de vision et s'introduisait dans tous les recoins de l'habitacle. D'autre part, les ondulations de la voie nécessitaient une vitesse élevée (plus de cent kilomètres à l'heure) pour limiter l'effet des rebonds successifs. Toutefois, en sautant d'une crête à la suivante, les roues généraient des vibrations peu agréables pour les humains et nocives pour les véhicules... Mais à l'arrivée au campement du parc du Niokolo Koba, la satisfaction d'apprécier un site sauvage dans un environnement réconfortant effaçait les désagréments du voyage. Pour sublimer l'accueil, les crocodiles pataugeaient dans l'eau boueuse de la Gambie en posant pour la postérité... 

 

Prendre la direction du sud conduisait sur la petite côte, le fief dominical de toubabs dakarois qui possédaient un cabanon rudimentaire, une case au toit de chaume, sur la plage entre Ngaparou et Saly Portudal. Arrivés en fin de matinée, certains amélioraient leur bronzage allongés sur leur serviette pendant que d'autres s'adonnaient à des activités physiques : planche à voile dans la baie ou volley-ball sur la grève. Au moment où le soleil atteignait le zénith, la température de l'air provoquait une ruée des humains vers la mer pour un rafraîchissement bienfaiteur. Avec quelques degrés de moins, les corps regagnaient l'ombre de la paillote pour attaquer les gnama-gnamas et l'apéritif pendant que les préposés officiaient devant le barbecue... Plus loin, en suivant le rivage, la route menait à Mbour, un des plus grands ports de pêche du pays. La vie de cette cité s'organisait quasi exclusivement autour de cette activité maritime, en particulier la production de yaboye. Poissons séchés.C'est en effet dans cette ville que s'élaborait cet ingrédient au parfum spécial indispensable à la réalisation d'un bon tiéboudiène. Des étals rudimentaires de bois se succédaient le long des rues avoisinantes de la plage d'embarquement et de débarquement du ballet quotidien des pirogues des pêcheurs. Ils supportaient une impressionnante kyrielle de demi poissons que le soleil déshydratait, séchait et durcissait. La chaleur intense et les diptères importuns se chargeaient de leur prodiguer leur odeur si particulière, presque putride. Par sa densité, celle-ci imprégnait l'air environnant et produisait une sensation olfactive désagréable permanente... Fadiouth.En prolongeant plus au sud, la côte se terminait par une langue de sable au niveau de Joal-Fadiouth. Comme dans toutes les bourgades côtières, ses habitants orientaient majoritairement leur occupation vers l'océan, principalement dans la récolte des fruits de mer. Vers l'est, du côté des terres, une anse abritait Fadiouth, l'île aux coquillages, dont l'accès se méritait par un long pont de bois. Ce site offrait un spectacle exceptionnel par son aspect immaculé, reflet de la matière recouvrant son sol, sublimé par les alignements désordonnés de croix funéraires blanches. Le trajet complet jusqu'à la pointe de cette bande sableuse s'opérait pendant plusieurs heures monotones en charrette hippomobile qu'un cocher dirigeait fièrement. La configuration géographique du delta du Sine Saloum obligeait à s'éloigner des flots pour filer vers la partie la plus méridionale du Sénégal. Les bolongs, bras de mer remontant les fleuves, assuraient la prospérité de la forêt de palétuviers. Constamment verte, celle-ci représentait un poumon vital pour ce territoire : les volatiles appréciaient de pouvoir nicher et prospérer dans leurs branches tandis que les mollusques s'accrochaient à leurs racines protectrices et proliféraient sans difficulté ; en bout de chaîne alimentaire, les humains bénéficiaient de l'abondance et de la variété des protéines animales ; la tempérance du climat océanique favorisait la culture d'une foule de plantes maraîchères qui complétaient leur nourriture. Outre son action bienfaitrice sur l'environnement, la mangrove scénographiait un tableau vivant tout en nuances contrastées : l'azur du ciel répondait au bleu intense de l'eau ; le vert des frondaisons illuminait l'ocre des racines dans l'ombre ; la fragilité des tiges graciles aérait la compacité du système racinaire ; la densité du feuillage étouffait la délicatesse des branches filiformes... Le trajet le plus direct vers la Casamance imposait de traverser la Gambie, enclave anglophone née de partages coloniaux. Un parcours de moins d'une cinquantaine de kilomètres à l'intérieur de ce petit pays requérait le franchissement de la frontière à deux reprises. Ces passages frontaliers devant les services des douanes s'accompagnaient de temps d'attente longs et non réellement justifiés. Mais le summum du délai réclamant un taux de patience incommensurable se situait au niveau de la traversée du fleuve Gambie. Une immense file de véhicules se pliait au bon vouloir des agents préposés au remplissage des deux bacs qui faisaient la navette d'une rive à l'autre. Et le bon gré des passeurs pouvait dépendre de transactions verbales matérialisées par un transfert de main à main... Cette région du Sénégal possédait diverses particularités propres. Arbre à palabres.La végétation abondante et variée de la forêt subtropicale s'opposait au paysage sahélien. Celle-ci favorisait l'existence d'une faune riche, notamment simienne, en offrant un garde-manger copieux. Par son réseau dense de rivières, elle permettait la production de cultures vivrières, en particulier le riz. Au cœur des villages, trônaient, avec majesté, des fromagers aux imposantes racines gracieuses, draperies ondulant du tronc vers le sol. Parfois, en saison favorable, ils arboraient, pendant au bout de leurs hautes branches, leur pompons blancs de kapok. Sous ces arbres à palabres se réunissaient les gentes masculine qui devisait avec le plus grand sérieux et enfantine qui batifolait dans l'insouciance. La population autochtone se composait, en majorité, de Diolas, au corps trapu et musculeux. Généralement, ils pratiquaient la religion catholique avec une vraie ferveur et une immense communion. Ainsi dans l'église de Bignona, la messe de minuit se célébrait doublement, en latin et français et en diola. Un orchestre d'instruments traditionnels de musique (tam-tams, balafons, Koras, etc.) accompagnait les magnifiques chœurs lors des chants liturgiques. Evidemment, la durée de l'évènement paraissait démesurée à certains enfants à la motivation limitée, pas encore incrustée. L'heure tardive aidant, elle générait ici ou là dans l'assistance juvénile des défaillances, d'abord palpébrales, ensuite cervicales. Des sacristains zélés déambulaient dans les travées de l'édifice à la recherche d'âmes assoupies dont ils fouettaient les mollets à l'aide d'une badine...

 
Projeter de rejoindre Bamako depuis Dakar par la voie ferroviaire constituait une expérience indubitablement mémorable. Les trente-six heures passées dans ce serpent de métal pour parcourir la distance de mille deux cents kilomètres entre les deux capitales mettaient en exergue l'ampleur de l'aventure. Faire état de la moyenne horaire de ce périple insolite s'avérait complètement inopportun ! Train Dakar-Bamako.Une marée humaine compacte envahissait l'esplanade devant la façade de style colonial de la gare. Ce magma agité et confus se prolongeait sur le quai d'embarquement. Dès lors, frayer son chemin pour atteindre le wagon-lit consommait une énergie conséquente, tous les pores suintaient. La cabine restreinte se composait d'un couloir étroit le long des deux couchages en bois superposés. Elle offrait toutefois suffisamment d'espace à ses deux locataires d'un jour et demi. Alors que dans les autres compartiments, une foule de passagers encombrés de bagages divers s'entassait sur les banquettes et dans les allées. Bientôt, et dans un délai raisonnable, d'un coup de sifflet strident, énergique et autoritaire, le chef de gare signalait le départ, autorisant ainsi le conducteur à lancer sa machine. Le monstrueux convoi, carcasse bringuebalante, vainquait l'inertie, s'ébranlait avec lourdeur, dans des craquements plaintifs. A la première étape, à Rufisque, le quai jouxtant les voies grouillait de monde coloré et bruyant : des voyageurs, bien sûr, attendaient d'embarquer ; des hôtes venaient accueillir de la famille ou des relations ; des femmes exhibaient toutes sortes de denrées sur un large plateau posé en équilibre sur leur tête : des fruits, des préparations culinaires personnelles, de la pâtisserie à de la viande cuisinée... Ces scènes exubérantes et pittoresques se répétaient à chacune des haltes du trajet. Dès les premières lueurs de l'aube, le bruit caractéristique du passage des roues métalliques d'un rail à son successeur devenait moins fluide et lancinant, plus saccadé puis cessait. A l'arrêt de Kidira à quelques mètres du passage de la frontière, sur la Falémé, une agitation s'emparait des wagons : les services de police et de douane toquaient à chaque porte pour effectuer leur mission, les vérifications habituelles. Après le franchissement de la rivière, le train reprenait son cheminement lent et monotone à travers la savane arbustive sur fond d'ocre rouge. Après ces trois demi-journées passées, entre ravissement et patience, dans ce déplacement folklorique, le voyage se poursuivait par une visite de Bamako, puis d'une partie du Mali en taxi de brousse. Hélas, le temps manquait pour organiser une incursion dans le pays Dogon... Car le moment arrivait de remonter dans le train du retour pour la même durée...
 
Relater des vécus en brousse sans évoquer les campements vespéraux, ces moments intenses de vie au cœur de la nature, constituerait une sérieuse carence, un raté manifeste, assurément regrettable. Il se dégageait de ces instants des sensations immédiates fortes et inaltérables, enchevêtrées à des sentiments profonds de plénitude. Après une journée de « crapahutage » en mode « aventurier de la fin du vingtième siècle », un camp pour la soirée et la nuit s'imposait pour une détente apaisante, un temps de convivialité et une saine récupération. La mise en œuvre de ces bivouacs itinérants s'organisait autour de rites élaborés et confortés au fil des expériences successives. Le crépuscule s'estompant rapidement vers dix-neuf heures, la recherche de l'endroit idéal débutait dès dix-sept heures trente. Le lieu devait se situer suffisamment isolé d'un village pour ne pas importuner les autochtones. Proche d'un point d'eau, il permettait de bénéficier d'une source de rafraîchissement et procurait un point de nettoyage de la poussière accumulée pendant la journée. La proximité d'une zone boisée pourvoyait en combustible pour l'allumage d'une flambée. Enfin, il importait de choisir l'orientation favorable pour ne pas subir les méfaits du vent. Après la détermination du coin retenu, l'installation se mettait en place progressivement et collectivement : l'emplacement de l'espace commun autour du feu se matérialisait par les cantines et les sièges pliants ; le déploiement des lits picots ou des tentes marquait les zones de couchage. La récolte du bois, et surtout sa réserve, conditionnait en partie le déroulement de la soirée. Dès l'apparition des prémices de l'obscurité, le feu entamait son crépitement, parfois mêlé au chuintement de l'évaporation de la sève. Trois fonctions essentielles prévalaient à son élaboration et son maintien : la lueur des flammes apportait un minimum d'éclairage, éventuellement de confort thermique ; sa présence éloignait les animaux nocturnes en quête de nourriture ; enfin, il servait de source de chaleur pour la cuisine. En effet, généralement, le diner se composait de salades improvisées et concoctées délicatement par les femmes et de grillades que l'expertise masculine cuisait à point. Bien que le plus souvent carnées, ces dernières provenaient aussi parfois de l'océan. Lors d'un passage en Casamance, le détour au marché de Ziguinchor permettait l'acquisition de langoustes fraîchement pêchées. Alors, ces crustacés décapodes saupoudrés d'herbes de Provence et amoureusement rôtis sur la braise engendraient le régal du soir... Certaines circonstances particulières méritaient un aménagement exceptionnel. Ainsi, après une journée de trajet, un réveillon de Noël s'organisait dans une petite clairière à quelques pas de la Falémé à l'extrême est du pays. Au cœur de la forêt, cette plate-forme dégagée, mais abritée, semblait agencée pour devenir le théâtre d'une manifestation festive. Les imposants arbres de son orée étalaient leurs tentaculaires branches en tous sens. Avec générosité et harmonie, ils prêtaient leurs foisonnantes et graciles ramilles pour diverses suspensions : des lampions en papier illuminaient la scène bucolique ; des guirlandes multicolores et multiformes scintillaient dans ce décor de fête. Une descente dans la rivière limpide et idéalement tempérée chassait la poussière de la piste que la transpiration retenait sur la peau. Ce bain bénéfique évacuait la fatigue occasionnée durant l'harassant voyage et réactivait le tonus. Un coup de coupe-coupe asséné judicieusement sabrait le champagne juste dégagé de son pain de glace. Les festivités commençaient et se prolongeaient dans une ambiance féerique... Parfois, la brillance de la lumière attirait un petit groupe d'habitants d'un village proche. Munis de leur coupe-coupe, ils s'approchaient discrètement, avec retenue. Après les traditionnelles formules de politesse, un échange verbal intéressant s'établissait entre les voisins éphémères. Pendant plusieurs heures, des conversations fournies alimentaient la connaissance et la compréhension de l'autre, de ses modes de vie, de sa vision du monde, etc. Certains anciens, dubitatifs sur l'évolution récente, emplis d'inquiétude et nostalgiques d'un autre temps, osaient avancer cette question surprenante : « C'est quand la fin de l'indépendance ? »... Nuit de brousse.Quand le défilement des secondes ralentissait son rythme sous l'effet de la fatigue, la discussion perdait de sa vigueur, s'essoufflait puis se tarissait. Alors les villageois repartaient vers leurs pénates en emportant de l'huile, du sucre, du pain... Dans la profondeur de la nuit, les broussards s'allongeaient à la belle étoile sur leur lit de fortune. Leurs yeux ouverts admiraient le contraste visuel des points lumineux dans l'immensité environnante d'un bleu outremer sombre. Leurs oreilles savouraient l'intensité du silence régulièrement troublé par des sons sporadiques. Leur esprit engourdi baignait et vagabondait dans une béatitude lénifiante. A son tour, le réveil s'accompagnait d'un bonheur tonifiant : les cris aigus de la faune volatile s'infiltraient progressivement dans les tympans ; la délicatesse de la luminosité matinale, limpide, pure et vive générait une stimulation vigoureuse pour la journée qui poignait.