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Au fil des rues, Echoppe sénégalaise.la déambulation générait un lot de curiosités aussi insolites qu'inattendues, des singularités qui mettaient en émoi la majorité des sens. Le premier étonnement se rencontrait dans le foisonnement de petites boutiques. Ici, un local de quelques mètres carrés au rez-de-chaussée d'un immeuble se convertissait en diverses utilisations : vente de rouleaux de tissu tapissant murs et étals, épicerie regorgeant d'articles de toutes sortes, atelier de tailleur avec son alignement de machines à coudre, gargote de quartier embaumant d'épices exotiques, etc. Kiosque à pain.Là, sur le trottoir, de minuscules échoppes de planches recouvertes de tôles ondulées proposaient des produits basiques, des cassettes audio, les lunettes de soleil ou encore de l'art local. Ailleurs, disposés de manière éparse, des kiosques métalliques hébergeaient des commerces de pain et de viennoiseries. Ou encore des femmes installées sur un tabouret proposaient, pour quelques francs CFA, des cacahuètes grillées et décortiquées ou des beignets qu'elles faisaient frire dans une bassine d'huile. A l'abri d'un arbre séculaire, des coiffeurs aménageaient un salon de coiffure en plein air avec quelques paires de ciseaux, une tondeuse mécanique et un miroir.  Noix de kola.Des bana bana, vendeurs ambulants, hélaient les passants en exhibant habits ou autres objets. Les marchands de lait caillé, calebasses pendant aux extrémités d'un long bâton en équilibre sur une épaule, vantaient leur produit à haute voix. Les vendeurs de noix de kola exposaient leurs fruits sur un plateau en émail posé sur un rondin qu'ils transportaient sous le bras...

 
Le summum des excitations sensorielles ressenties se recueillait au marché Sandaga, Marché Sandaga.à la jonction de la Médina et du Plateau. Dès l'entrée dans cet espace de vie indigène, l'atmosphère visuelle, auditive et olfactive enveloppait l'être dans sa totalité. Un seul vocable lui traversait l'esprit à cet instant pour qualifier ce ressenti : densité. Sa première manifestation concrète se voyait dans la concentration des étals. D'à peine plus d'un mètre carré, ils se constituaient de quelques planches de bois clouées sur des tasseaux sommairement dégauchis. Ils servaient d'exposition à toutes sortes de denrées alimentaires : des légumes cultivés aux alentours de variétés locales ou importées, des fruits savamment empilés un à un, des épices variées et présentées en vrac, de la viande grossièrement débitée et qui attirait force mouches volumineuses et bourdonnantes, du poisson juste sorti des filets ou en tranches... De part et d'autre de ces tables de vente, un foisonnement humain complétait l'impression de compacité. Avec ses habits traditionnels généralement très chamarrés, cette multitude agrémentait la palette de couleurs déjà bien fournie d'une tonalité plus intense et plus étendue. Elle participait aussi, par les échanges verbaux usuels de l'endroit, les slogans racoleurs et les altercations diverses, au brouhaha ambiant d'un volume sonore élevé. Les relations commerciales multipliaient les durées d'intervention car elles respectaient des rites ancrés dans la tradition : les immuables et indispensables formules de politesse inhérentes à tout contact, la demande propre à son origine et les éléments de négociation du prix, la traditionnelle opération de marchandage. L'abondance de mots augmentait de fait la profusion des sons, densifiait le bourdonnement sourd environnant. Enfin, les effluves des aromates s'échappant de leur conteneur de jute ou de papier se mêlaient aux émanations fétides des caniveaux ruisselant de liquides sombres et épais. Ce mélange concentré de senteurs antinomiques complétait l'éventail des stimuli perçus simultanément. 
 
A l'extérieur, dans les rues adjacentes, les odeurs caractéristiques des milieux tropicaux s'exhalaient avec lourdeur, de manière prégnante presque suffocante. Elles résultaient d'un amalgame d'air chaud et humide, de relents, de renfermé, d'un méli-mélo de sueurs accumulées. Parfois, elles interféraient avec celles de déjections uréiques condensées après évaporation. Ce qui justifiait l'inscription murale d'une cinquantaine de centimètres de hauteur tracée au charbon de bois : « défense d'uruner »...
 

Une autre Talibés.particularité se rencontrait fréquemment dans les artères de la capitale sénégalaise : la mendicité. Globalement, deux facteurs produisaient ces scènes de quêtes d'aumônes. D'une part, des personnes présentant des handicaps acquis à la naissance ou à la suite d'une grave maladie se postaient à des endroits très fréquentés en hélant les passants. Le degré d'infirmité variait de l'absence ou l'atrophie d'un membre à la déformation complète du corps. Dans le cas d'invalidité importante située au niveau des membres inférieurs, elles se déplaçaient au raz du sol. Certaines se balançaient en prenant appui alternativement sur les mains et le bassin. D'autres recouraient à un chariot constitué d'une planche de bois monté sur des roulettes et qu'elles actionnaient manuellement. D'autre part, les jeunes talibés erraient dans les rues avec, en guise de sébile, une boite de conserve vide. Ces élèves des écoles coraniques devaient recueillir de la nourriture pour leur communauté en contrepartie de l'enseignement dispensé.

 
Un autre lieu typique de la presqu'île du Cap-Vert drainait en permanence une foule métissée vers la baie de Soumbédioune et son marché aux poissons. Plage de Soumbédioune.Tous les jours, en fin d'après-midi, les pirogues chamarrées s'échouaient sur la plage de cette anse. Les pêcheurs s'extrayaient avec agilité et maîtrise de leur embarcation encore flottante. Dans un mouvement collectif et coordonné, ils l'accompagnaient sur le sable à bonne distance de l'eau. Aussitôt déchargée, leur cargaison se retrouvait sur les étals installés à quelques mètres.Marché de Soumbédioune. Préposées à la vente, les femmes exposaient le fruit de la pêche fraîchement débarquée et triée par catégories. Elles le présentaient le plus avantageusement possible autant visuellement que verbalement : de leur voix puissante de cantatrice, ces matrones souvent corpulentes vantaient la qualité et le bon prix de leurs produits... Evidemment, toute transaction générait sa séance de marchandage, le jeu habituel entre vendeur et acheteur. Dans un délai plus ou moins bref, une entente finissait toujours par advenir entre les protagonistes. Et même sans négociation préalable et au même tarif, la vendeuse proposait la préparation de sa marchandise : en une poignée de secondes et quelques gestes précis, le poisson était écaillé, vidé de ses entrailles et même ses filets pouvaient être levés.
 

Enfin, eu égard à sa notoriété, un déplacement à Gorée, la localité emblématique de la capitale sénégalaise, s'imposait rapidement. L'île elle-même, hors de son histoire particulière, offrait un attrait touristique réel : la plage au cœur de la cité, Maison des esclaves de Gorée.le quai du débarquement qui surgissait de l'eau et pénétrait la terre, les ruelles d'où jaillissaient des bougainvillées multicolores et flamboyants, les habitations aux façades colorées... Certes les effets de son évolution historique avaient modelé sa topographie et, en partie, établi son urbanisation relativement stable depuis de nombreuses années. Dès l'arrivée sur le débarcadère de ce croissant de terre émergeant à quelques miles de la capitale, l'atmosphère, autant envoûtante et aérienne que pesante de son passé, enveloppait les visiteurs. Le cheminement par les rues étroites et presque totalement ombragées confortait cette impression initiale. Quels que soient les circonvolutions effectuées, le trajet conduisait nécessairement à la maison des esclaves. Là, monsieur N'Diaye, le conservateur de ce musée de la traite négrière exposait sa vision de cette période peu glorifiante pour l'espèce humaine. Dans une mise en scène savamment orchestrée, il présentait les différentes étapes suivies, et subies, par les esclaves avant et pendant ce trafic d'êtres humains. Toutefois, ce commerce abject, peu digne d'une civilisation se proclamant évoluée, n'avait prospéré et atteint son acmé qu'avec le concours d'intermédiaires autochtones zélés...