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De passage dans le Vendômois en ce cœur d'hiver, le virus de la grippe asiatique s'est installé dans cet organisme fragile. Les tisanes et autres remèdes, ainsi que les médicaments de la pharmacie basique (aspirine...) n'ont pas été suffisants pour enrayer les accès de fièvre, les douleurs diverses et l'abattement général. Pressentant la gravité de la situation, Ida téléphona, depuis la cabine publique de Villée, pour faire venir le docteur I. C'était le médecin de Trôo, le praticien le plus proche, à quatre kilomètres de Villée. Le diagnostic fut rapide et clair : une grippe. Un des rares voisins motorisé a dû aller acheter les médicaments (antibiotiques...) à la pharmacie de Montoire-sur-le-Loir à dix kilomètres.
 
En ce début de deuxième moitié du vingtième siècle, les télécommunications pénétraient progressivement le monde rural. Ce milieu souvent très conservateur et circonspect à la venue de changements accompagnait l'accomplissement de ce progrès avec une lenteur notable... Aussi il est parfaitement loisible de formuler cette interrogation : quand les parents avaient-ils été informés du soudain et délicat état de santé de leur cadet ? Qu'importe la réponse à cette éventuelle question, la rudesse de cet évènement inopiné, cette attaque brutale, engendrait une réplique maîtrisée, mais assurée. En effet, Ida gérait cette situation périlleuse avec une efficacité incontestable et dans une apparente sérénité. Elle respectait scrupuleusement les indications précisées sur l'ordonnance prescrite par le docteur I (doses, délais des prises...). Elle agissait en tout point avec son cœur dans le vif espoir d'un rétablissement rapide et complet de ce petit être dont elle avait la charge.
 
Par un supplément d'abnégation qui l'honore plus encore, transat 1elle céda son lit bateau de la pièce à vivre pour y installer son protégé souffrant qui se plaignait d'une gêne intercostale de plus en plus aiguë. Elle s'aménagea un couchage avec des coussins disposés sur une chaise longue en osier ou en rotin. Elle pouvait ainsi mieux le voir, mieux sentir l'évolution de son état, exercer une surveillance continuelle, avec plus d'efficience. Malgré toute son attention et sa prévenance,  mais sans montrer d'inquiétude, Ida augurait des complications, des conséquences défavorables.
 
Le docteur I revint constater une anomalie au niveau d'un poumon. Après avoir pris lui-même le rendez-vous, il emmena le jeune malade dans sa propre voiture, une Dyna Panhard Z, à l'hôpital de Vendôme. La radio confirma une pleurésie qui l'immobilisa, alité, pendant quelques mois...
 
Un matin frais et ensoleillé de mai, autorisation lui fut donnée de jouer dans la cour. Il décida de sortir ses "petites voitures" et de créer toutes sortes de situations, de lieux de son imagination. Des "routes" furent tracées sur le sol avec les mains ; la poussière dégagée sur les côtés matérialisait des talus ; des cailloux et/ou des morceaux de bois figuraient des habitations... Bientôt la ronde des véhicules miniatures animait cet espace imaginaire, créé spontanément ou mûri pendant l'immobilité forcée. A la fin de la matinée, peut-être à l'appel du repas, le passage de la position accroupie ou agenouillée à la station debout fut rendue difficile, voire impossible, par un violent lumbago. Cette grippe asiatique aura été source de nombreux soucis sur la plan de la santé !
 
Evidemment, pendant cette période de quelques mois, les apprentissages "officiels" (école et catéchisme) ont été délaissés. L'absence ne posa pas de problème au niveau scolaire. En revanche, son interprétation par l'abbé C, le père C, Paul de son prénom, est apparue très éloignée des principes élémentaires de la religion, catholique en particulier : une vision très singulière, partiale et partisane de la justice. Selon les habitudes hebdomadaires, une note était accordée à la suite de la récitation (mot à mot) des enseignements de la séance précédente. Les critères de son attribution n'étaient pas connus, mais, ce qui est sûr, elle était nulle si aucun mot n'était prononcé. Aussi le classement de fin d'année basé sur la moyenne fut éloquent. Peu enclin de manière innée à comprendre et subir ces vénérations déistes, cette marque flagrante d'injustice (tant prônée dans les textes et les mots) eut pour conséquence d'ignorer définitivement ces croyances et de réserver de la défiance à l'égard de ceux qui les véhiculent...