Bandeau.

Constant était un homme dont la vie suintait l'action, le mouvement. Pourtant, il affectionnait la pêche à la ligne au bord de l'eau, une activité calme et tranquille. Était-ce une autre forme d'action, une échappatoire ou un besoin de solitude ? Il était capable de passer des heures, parfois jusqu'au crépuscule, à contempler son bouchon filer au gré du courant, tantôt debout, tantôt assis sur un pliant de bois.
 
En général, il partait dès le lever du jour avec un attirail complet rejoindre son "coup" le long du Loir. Il commençait par lancer ses appâts préparés la veille ou sur le champ dès l'arrivée. Il installait ensuite ses cannes, en bambou, avec la ligne terminée par un ver de terre, un asticot ou une mouche accroché à l'hameçon. Il testait divers endroits, plus ou moins près de la berge, plus en amont ou plus en aval. Après l'installation d'un grelot à chacune de ses trois ou quatre lignes, il s'offrait une pause casse-croûte tout en surveillant les différents bouchons flottant sur l'onde.
 
Parfois Ida et les enfants "descendaient" au fleuve retrouver Constant pour le déjeuner. Les deux kilomètres du trajet en suivant les chemins qui serpentaient de champ en champ étaient parcourus sans difficultés, la diversité de la nature offrant des attraits permanents pour les sens. A l'arrivée, elle rappelait avec force les consignes à observer : parler le plus doucement possible, ne pas s'agiter trop près de la berge, d'une part pour ne pas risquer de tomber à l'eau (personne ne savait nager !) et d'autre part pour ne pas effrayer les poissons. Ils ne devaient pas sentir la présence humaine à proximité. Il était même interdit de courir ou taper sur le sol à moins de cinq mètres de la rive. Une sieste était imposée à l'ombre des arbres après le repas. Le réveil par le tintement d'une clochette était un ravissement pour les bambins. Il augurait très probablement une prise après quelques manœuvres délicates mais sures du pêcheur.
 
Cette sortie à la pêche comblait les enfants par l'épanouissement produit par l'évasion, à la découverte, mais le lot de contraintes leur procuraient un sentiment négatif. Elle revêtait ainsi à la fois de l'envie et de la réticence. Cependant c'était grâce à cette rigueur que Constant ne rentrait pratiquement jamais bredouille de cette activité. A son retour, Ida devait souvent s'occuper de la préparation de brochets, brèmes, carpes et autres petites fritures.