Bandeau.

Quelques mois avant la fin de la première moitié du vingtième siècle, Daniel perdait son statut de fils unique. Un second garçon venait compléter et achever la fratrie de cette famille de petits ouvriers de la proche banlieue parisienne. La naissance eut lieu à la maternité de l'hôpital "Pitié-Salpêtrière". Tout s'étant déroulé normalement, la maman et sa nouvelle progéniture rejoignirent rapidement le foyer qui occupait un modeste logement du Kremlin-Bicêtre.
 
Si les souvenirs ne sont pas trop altérés, la situation géographique des lieux, avant reconstruction du quartier, se présentait en surplomb de la rue. Un couloir de quelques mètres de long prolongé par un escalier en béton accédait à une cour cimentée pratiquement carrée. Elle donnait accès à quatre (peut-être six) habitations offrant deux à deux mitoyenneté et face à face. Le logis occupé était sur deux niveaux : le rez-de-chaussée se composait d'une pièce de taille très moyenne avec une fenêtre jouxtant la porte d'entrée, une petite cuisine et au fond un escalier en bois ; au premier étage, une ou deux chambres et une salle d'eau emplissaient l'espace.
 
La vie était rythmée par les contraintes, notamment horaires, de l'activité professionnelle du "père de famille", ouvrier boulanger : départ du foyer dans la soirée, retour dans la matinée suivante et récupération nécessaire pendant la journée. Ce travail de nuit, très pénible, s'effectuait naturellement pour l'époque et le milieu d'origine. En cette période de souvenirs récents douloureux, participer au "redressement du pays" était normal pour le "bas peuple" sans culture. Cette activité permettait en plus de "(bien) gagner sa vie" puisque la rémunération était fonction du nombre de pièces produites (tant pour un pain, tant pour un bâtard...) et le salaire était versé chaque semaine. 
 
Un an plus tard, alors que la vie se déroulait paisiblement la "mère au foyer" était atteinte d'une grave maladie pulmonaire, très certainement contractée quelques années auparavant et accentuée par les difficultés de vie liées à la guerre. Dès lors, l'éloignement des enfants de cette difficulté familiale momentanée a été fortement recommandé par le milieu médical et rendu nécessaire matériellement par le choix du traitement.
 

De cette période éloignée et de durée restreinte, trois images puissantes demeurent présentes, gravées ad vitam æternam dans la mémoire de manière indélébile. Ce discret duplex sobrement agencé constituait le cocon, sans charme particulier mais agréable à vivre, d'une famille laborieuse de la Capitale. Que de telles impressions persistent est surprenant car sa durée n'a été que d'une année environ, la première. 

 

L "TSF apres 1945 Poste a oreille"a première est celle du poste de radio qui trônait sur une petite étagère dédiée au dessus de la table ronde de la pièce principale. Il n'était certainement pas exactement ce modèle à oreilles, mais il avait une apparence similaire, qui correspondait à cette époque : un coffre en bois coloré renfermant divers composants électriques avec, en façade, des boutons de réglage et un cadran. Il délivrait son lot rituel d'informations "officielles" du moment avec les commentaires avisés et subtils de journalistes compétents (ils avaient autorité puisqu'ils savaient...). Le silence était recommandé, certainement imposé : le chef de famille s'abreuvait avec attention des petits et grands potins, des orientations et choix politiques, des plans ceci ou cela... Il avait ainsi un aperçu, "la vision" de l'évolution de la vie, de la société de ce début de deuxième partie du siècle.

La seconde est la descente involontaire et sans contrôle de marche en marche en partant du niveau supérieur. A l'arrivée au rez-de-chaussée, après une bonne suée des spectateurs et peut-être aussi de l'acteur, l'accueil a dû être d'une qualité sonore importante de part et d'autre, mais avec des motifs différents...

La troisième est la maman assise, immobile dans l'imposant fauteuil en cuir brun-rouge qui occupait un espace cubique près de la fenêtre de la pièce à vivre. C'est ce qui la rendait malade aux yeux des enfants ! Elle avait opté pour un traitement à domicile lourd et contraignant. Situées derrière le siège, deux énormes bonbonnes de dilutions médicamenteuses injectaient dans ses bras les remèdes à ses maux. La maladie était personnalisée, elle avait un visage...