Bandeau.

Dès son arrivée au lycée technique d'état manceau, chaque lycéen aspirait, après l'obtention du baccalauréat au terme du cycle, à intégrer la voie "royale", la "math sup technique". L'objectif principal de cette section était la préparation au concours d'entrée dans la prestigieuse "École Nationale Supérieure d'Arts et Métiers" (ENSAM) communément dénommée "Arts et Métiers". Ce projet majoritairement espéré, autant ambitieux que normal, supposait quelques dispositions propres : une relative aisance dans la capacité à soutenir une attention performante pendant les huit heures quotidiennes de temps scolaire ; la capacité d'ajouter un temps d'au moins la moitié de travail personnel approfondi, efficace et productif ; la facilité d'assimilation d'une quantité considérable de connaissances et de savoir-faire variés et souvent complexes... En outre, il nécessitait une volonté tenace forgée dans l'acier trempé, voire inoxydable, pour se préparer à une hypothétique réussite, un échec probable, conformément à la statistique des concours.
 
La rudesse du rythme imposé et subi pendant les trois années de lycée s'était traduite par une fatigue physique chronique conséquente, une lassitude intellectuelle proche de la saturation et un effritement du désir de progresser, de poursuivre des efforts éprouvants aux bénéfices incertains. La routine stérile des journées chargées et pesantes, le malaise vécu dans nombre de matières et les difficultés concrètes ayant émoussé les qualités indispensables aux velléités originelles, un choix moins onéreux en énergie et en détermination s'imposait. Apparaissait-il comme négatif au regard des réalités passées ou au contraire provenait-il d'une motivation profonde, viscérale, d'un élan (quasi) naturel, inné ? Il émanait très certainement de l'équilibre, l'harmonie entre ces deux pôles qui se nourrissaient l'un et l'autre de manière circulaire. La continuité de la formation ne serait plus généraliste, elle s'orienterait vers une spécialisation la plus pointue possible dans la discipline la plus pourvoyeuse de satisfaction : les mathématiques. Cette option avait, par ailleurs, l'assentiment de monsieur Y, professeur de mathématiques de la classe terminale. Malgré son attitude d'apparence distante, un peu froide mais très professionnelle, il se montrait à l'écoute et d'une grande disponibilité à l'égard de chacun de ses élèves. Il discernait avec une grande acuité leurs aptitudes intrinsèques, leur capacité de travail, leurs motivations réelles et leurs possibilités de progrès avec un surcroît d'effort. Il se dégageait de sa personnalité une telle intégrité, une sincérité profonde, une vraie honnêteté que les conseils prodigués se transformaient en choix définitifs plus ou moins inconsciemment. En l'occurrence, il suggérait l'abandon du prodigieux projet et préconisait la sagesse de l'orientation universitaire moins énergivore et plus accessible... Un nouvel encouragement venait, tardivement, conforter cet engagement lors de la proclamation du palmarès du baccalauréat. A la lecture des résultats de l'examen, le président du jury proposait à quatre lauréats un court entretien à la suite de l'annonce officielle. Au regard des notes obtenues aux épreuves de mathématiques, il leur suggérait de poursuivre l'étude de cette discipline à l'université, de manière plus approfondie et entièrement dédiée. Outre l'incitation individuelle proposée à ces heureux lycéens, cet aparté remplissait aussi la mission de vanter la qualité du jeune département de mathématiques de la faculté des sciences de Le Mans. Cette double action avait pour vocation dissimulée la recherche d'une augmentation de la population étudiante de cette filière récemment créée.
 
L'arrivée dans ce nouveau milieu, ouvert à une liberté insolite et inédite, bouleversait la banalité et la morosité du quotidien vécu antérieurement. D'une part, dans le domaine de l'enseignement, le cursus universitaire, une adaptation s'imposait : contenus, approches, démarches, méthodes présentaient autant d'innovations que d'originalités. D'autre part, sur le plan humain, les jeunes adultes découvraient la vie étudiante avec prioritairement une immense autonomie multiforme à gérer à la fois dans l'imminence et la durée.