L'activité professionnelle
L'engagement dans la voie noble et gratifiante de la transmission de savoirs et de la formation de futurs citoyens résultait fréquemment d'un processus personnel élaboré. Parfois, l'origine de cet élan germait tôt dans la scolarité, sur les bancs de la communale. Cette genèse plus ou moins consciente, mais souvent prégnante, influait sur le futur cursus scolaire et universitaire. Elle en constituait même fréquemment un déterminant puissant et incontournable. |
En l'occurrence, un tel projet ne procédait d'aucune maturation dans le temps. Durant la quinzaine d'années d'éducation initiale, de consommation d'apprentissages cognitifs et comportementaux, de construction humaine, s'est forgée une conception ambivalente de la fonction enseignante. Volontaires, l'acquisition et l'accumulation de connaissances procuraient une réelle satisfaction personnelle, comblant ainsi une soif de découvertes, une envie de savoir. Obligées, elles offraient la possibilité d'une ouverture d'esprit et procuraient des clés d'aide à la compréhension du monde. En tant que relai de la culture générale et de la formation des individus, l'enseignant s'honorait naturellement d'une gratification immanente. Ce rôle de transmetteur de l'instruction reconnue indispensable, de valeurs sociales nécessaires à la vie collective et d'un socle culturel étendu s'inscrivait dans l'acte vertueux du partage : je rends ce que j'ai reçu... Inculquée dès le plus jeune âge en immersion au quotidien et viscéralement ancrée, cette qualité autorisait un élan vers ce métier. Cependant, le pédagogue reflétait l'image du référent sûr et incontestable, du détenteur de la vérité commune, universelle ; il apportait avec une aisance assurée une (la) réponse à toute interrogation, il fournissait une justification claire et précise à tout raisonnement, tout enchaînement d'idées. Cette capacité d'à-propos dans l'exercice de cette profession semblait requérir des aptitudes intellectuelles et humaines que l'insuffisance d'estime de soi et d'assurance masquaient profondément : la stature trop frêle ne permettait pas d'endosser une telle posture. Cet aspect agréable et intéressant de l'activité, mélange de communication, de contact, d'échanges, de rapports humains occultait la besogne de l'ombre fastidieuse, répétitive, énergivore et chronophage qu'exigeait le contrôle des acquis. L'attitude positive, quasi sacerdotale et très favorable pour les lycéens de Monsieur Y. était, à cet égard, édifiante. Ce professeur de mathématiques proposait un devoir surveillé en temps limité chaque jeudi de quatorze à dix-huit heures aux quarante-quatre élèves de terminale. La correction commentée de ce contrôle des connaissances s'effectuait dès la première séance de la semaine suivante, le lundi de huit à dix heures, avec la remise des copies notées. Imaginer le temps passé, la concentration sollicitée et l'énergie utilisée pour l'examen, l'évaluation et l'annotation de ces travaux réalisés en presque cent-quatre-vingts heures annihilait toute velléité d'engagement dans cette voie... |
L'évolution de la vie d'un être, notamment d'un humain, s'opère souvent en fonction d'aléas, par essence inattendus, d'événements notables, de rencontres fortuites et de ses aspirations propres. Les orientations suivies ont ainsi oscillé entre des options décidées, réfléchies, mûries, et l'appropriation de circonstances favorables survenues de manière imprévue. L'adoption de l'enseignement comme voie professionnelle, le pied à l'étrier, a résulté de contingences inopinées. Le choix de servir comme coopérant à l'étranger au sein du ministère de la Coopération, les années sénégalaises, a procédé d'une démarche ferme et fortement enracinée. Enfin le retour en France, la fin de carrière, a été le fruit d'une mise en œuvre de stratégies pensées et de hasards satisfaisants. |
Le parcours
Les proverbes populaires, véhiculés au fil du temps de génération en génération, sont, par essence, d'une grande lucidité frappée du bon sens commun. L'un d'eux, "le hasard fait bien les choses" s'adapte parfaitement et de manière récursive à ce cheminement. En effet, celui-ci a été jalonné fréquemment de fortunes heureuses, de phases de chances inopinées. |
La première manifestation de la chance a été la rencontre des géniteurs et ses conséquences : la conception puis la création. Les mouvements aléatoires de ce spermatozoïde (un parmi une multitude !) l'ont amené à l'ovule récepteur (unique) à cet instant précis. La "bonne étoile" a continué : la fécondation s'est produite, puis ce fut la naissance ! L'éclosion de cette toute nouvelle créature fut ce que l'on nomme, d'une manière générale, un "heureux évènement".
La chance s'est aussi déployée dans le lieu et l'époque de cette naissance : en ce début de seconde partie du vingtième siècle, l'Europe pleurait ses morts, vivait dans la compassion pour ses victimes à la suite des violents conflits et massacres qu'elle s'était imposés quelques années auparavant. Mais un vent d'espérance caressait l'espace, effleurait les êtres, insufflait une allégresse générale qui annonçait un avenir proche rempli d'optimisme et d'enthousiasme.
La chance s'est encore exprimée par les relations, les contacts avec des gens extraordinaires, remarquables dès les premières années et tout au long du trajet. Quelques exemples de ces rencontres des plus fortes, prolongées et marquantes peuvent être énumérées avec la main pour limite : en se substituant aux parents, les grands-parents maternels ont accompagné l'enfance et pétri le caractère propre ; l'instituteur de la Communale, a promu l'essor de ce "sauvageon" sur la voie de l'ouverture et de la culture ; les premiers collègues dans la vie professionnelle ont fait germer la fibre du métier ; la "Mammé" de la rue Carnot à Dakar a fait éclore la notion de relativité, notamment dans la domaine des idées et des cultures ; la compagne a accepté de s'aventurer avec un paquet encombrant loin d'être une sinécure, ni une liasse ; enfin le vaste creuset de toutes les autres personnes qui ont produit un effet positif, inconscient ou non, au moins par leur présence.
La prolongation de la scolarité au-delà de sa période minimale obligatoire a également été une chance considérable : sa conséquence immédiate, l'ascenseur social, a généré une vie meilleure et permis le choix de la vie active.
A son tour, l'activité professionnelle s'est révélée être une chance par plusieurs aspects : le partage du métier en deux fonctions très différentes et complémentaires a éloigné l'instauration possible de la monotonie, de la routine ; la partie "préparation" a généré un travail de recherche, de création avec une gestion personnelle de la moitié du temps ; le côté "classe", souvent accompli de manière un peu théâtrale, a souvent apporté de la satisfaction par l'accomplissement de ses objectifs, à savoir la transmission de connaissances, de concepts, d'attitudes et la formation humaniste ; enfin le fait d'avoir une action positive en direction d'autrui, notamment des jeunes, a rendu cette tâche intéressante, passionnante et gratifiante.
Le bain prolongé et l'imprégnation consécutive dans des cultures différentes ont pareillement constitué une chance : la concomitance et l'interaction permanente des visions et pratiques distinctes, parfois contradictoires, ont ouvert vers plus de tolérance, de relativité et de détachement de ses racines.
Ne pas avoir connu, approché, subi la déchéance humaine lors des départs de proches est aussi une illustration de la chance : les images conservées qui réapparaissent régulièrement présentent un reflet bienveillant, paisible, empreint de sérénité.
Enfin la chance s'est montrée favorable dans la survenue d'options occasionnelles ; la sélection raisonnée des choix et leur mise en œuvre a permis que ce vécu soit producteur de sens par la réalisation des engagements pris et, plus globalement, dans sa totalité. |
Même si elle n'est pas exceptionnelle, cette trajectoire, nécessairement unique, présente un aspect remarquable par son évolution : un point de départ peu favorable, des ouvertures contingentes et opportunes, un accomplissement globalement satisfaisant... Elle est exposée en différentes tranches de longueur variable et d'inégale importance par leur durée et leur intensité : |
Elément essentiel de la constitution et de la transmission du patrimoine propre, la famille a eu et maintient un lien fort au parcours par sa contiguïté obligée et ses interactions permanentes ;
En s'appuyant sur l'inné et l'imitation, l'imprégnation de l'entourage, les premières années ont formé l'élément essentiel, primordial en construisant le socle de la personnalité en devenir ;
La formation initiale (scolaire), obligatoire dans notre nation française, a constitué le second point d'ancrage d'une importance capitale se révélant un "ascenseur social" incontestable ;
Le service national, volontaire et non militaire, a permis la découverte d'un "autre monde" avec ses modes d'action et une ouverture culturelle fondamentale ;
Malgré des exigences et des contraintes de plus en plus lourdes et difficiles, l'activité professionnelle s'est avérée une importante source de satisfaction par l'utilité procurée à la société. |