Bandeau.

Après une douzaine d'années de service au sein du ministère de la Coopération au Sénégal, un vif désir de retour en France s'amplifiait de jour en jour de manière impérieuse. L'activité professionnelle au lycée Blaise Diagne continuait à offrir son lot régulier de belles satisfactions. Mais la vie sénégalaise de coopérant technique, relativement artificielle, offrait de moins en moins de bien-être, pesait de plus en plus au quotidien. Retrouver une existence plus classique, plus conforme au vécu culturel, avec sa quantité de contraintes banales, devenait une aspiration forte, une motivation persistante.

 

L'étude méticuleuse du mouvement national des personnels enseignants ne présageait pas de l'obtention d'un poste satisfaisant, notamment sur le plan familial. C'est en effet dans les alentours de Montpellier que les enfants avaient immigré l'année précédente. Sans bonification particulière, une nomination dans ce coin de France très prisé de la gent enseignante s'avérait très incertaine : le barème du dernier nommé au mouvement précédent sur les endroits convoités planait à mille lieues des points accumulés régulièrement. Dès lors, la demande de réintégration en métropole obéissait à une stratégie espérée efficace : des vœux sur des établissements proches du domicile de la progéniture pour ne pas laisser évaporer un improbable aléa propice ; une option sur Titulaire Académique (TA) qui assurait un emploi dans l'Académie, de Saint-Chély-d'Apcher au nord de la Lozère à Font-Romeu au sud des Pyrénées-Orientales ; enfin un choix sur Titulaire sur Zone de Remplacement (TZR), fonction peu sollicitée à cause de la de forte mobilité géographique imposée et l'adaptabilité pédagogique nécessaire.

 

La tactique adoptée pour la demande de réintégration à l'Education Nationale en France s'est avérée fructueuse : la première nomination en tant que titulaire académique s'est effectuée au collège Frédéric Bazille de Castelnau-le-Lez. Outre cette commune, cet établissement recrutait ses élèves sur les municipalités voisines de Clapiers et de Jacou. Ce recrutement dans ce territoire de la banlieue relativement aisée de Montpellier lui conférait une population collégienne d'un niveau acceptable et assez homogène. Dès le premier contact, le principal, Monsieur A., cheveux blancs coupés en brosse sur une tête carrée au sommet d'un corps de bonne corpulence, proférait, d'un ton pour le moins paternaliste, un discours strict sur la tenue vestimentaire des enseignants : l'allure estivale de sa nouvelle recrue devait heurter sa vision archaïque et rétrograde de la fonction... Selon la tacite règle habituelle sous tous les cieux du monde éducatif, le dernier arrivé recevait la distribution des classes non attribuées, soit deux sixièmes, deux cinquièmes et la troisième, certes de faible effectif, mais constituée de cas difficiles scolairement et socialement. La gestion in situ de ces sections, et notamment la dernière, réclamaient une (ré)adaptation pédagogique aux antipodes du vécu professionnel de la douzaine d'années précédentes : variété des activités, durée limitée des temps de concentration, modestie des exigences, attention permanente du comportement du public, diversité des postures... Au cours du deuxième trimestre scolaire, une inspection était normalement orchestrée. Monsieur B., l'Inspecteur Pédagogique Régional procédait ainsi naturellement à la connaissance du personnel de sa circonscription. Avec rigueur et bienveillance, il évaluait le travail présenté pendant la séance d'une heure et estimait la progression suivie dont faisait foi le cahier de texte de la classe. En supplément de sa mission de contrôle et de conseil au niveau professionnel, il prolongeait l'entretien par une attention particulière à la personne. En effet, son humanité naturelle le portait à chercher, s'il en sentait la nécessité, à apporter un éventuel soutien dans la sphère personnelle. Il proposait aussi un appui éclairé dans l'élaboration, la réalisation et la possible évolution du plan de carrière. 

 

La deuxième année dans ce poste de TA inaugurait une nouvelle situation, pas encore éprouvée. En effet, la nomination consistait en deux demi-postes sur deux collèges distincts : le même Frédéric Bazille et Clémence Royer de Montpellier. Cet établissement situé en plein centre de la ville possédait la particularité de recruter des élèves pratiquant, à un bon niveau, des disciplines artistiques, musique ou danse. Souvent issus d'un milieu social favorisé, généralement rompus à une certaine autonomie depuis des années et habitués à une gestion serrée de leur temps, leur investissement scolaire se réduisait au strict minimum et leur comportement en classe pouvait extérioriser un besoin de libération d'énergie. Les facilités matérielles et intellectuelles de ces collégiens généraient de l'aisance dans leur vie quotidienne et leur conféraient de l'assurance en face d'imprévus. Ces qualités humaines compensaient les éventuelles lacunes qui se glissaient dans leur culture scolaire... Cet emploi dispersé en deux lieux différents offrait un avantage incontestable à l'institution en ne présentant pas d'inconvénients majeurs pour les utilisateurs. Il obligeait les responsables de chaque collège à harmoniser les répartitions de service hebdomadaires et les dates de réunion pour assurer la fluidité des déplacements d'une structure à l'autre. Les durées de transport domicile-travail subissaient effectivement un léger surcroît non négligeable. Mais c'est surtout la localisation géographique au cœur de Montpellier saturé de véhicules stationnés qui occasionnait le plus de désagrément. La pénurie de places de stationnement rendait nécessaire, à chaque trajet, des hectomètres de marche, certes bénéfiques sur le plan sanitaire, mais chronophages.

 

Peu de temps après sa réintégration en France après son détachement au Sénégal auprès du Ministère de la coopération, l'Inspection de l'Enseignement Technique proposait à Gérard M. la mise en œuvre, dans l'Académie, du dispositif d'Adaptation, de Reconversion et d'Insertion Active dans de Nouveaux Emplois (ARIANE). L'objectif de cette structure consistait en la formation dans une autre voie de professeurs de lycée professionnel dont la spécialité s'éteignait faute de besoin industriel. Elle s'intégrait naturellement dans l'organisme de formation continue des enseignants, la Mission Académique à la Formation des Personnels de l'Education Nationale (MAFPEN). Conscient de l'importance des actions à réaliser en Languedoc-Roussillon, Gérard souhaitait s'adjoindre le soutien d'un collaborateur. Après de longues et âpres négociations, les instances locales de la MAFPEN acceptaient la création de l'équivalent d'un demi-poste d'enseignement en réponse à sa sollicitation tenace. Ainsi le binôme opérationnel de l'équipe ARIANE s'attelait ardemment à sa mission récemment instituée dans l'Académie. Les services du Rectorat ciblaient les personnels impactés par les suppressions de poste dans les domaines d'enseignement considérés obsolètes par l'Institution. L'intervention concrète d'ARIANE commençait par un entretien avec l'intéressé afin de déterminer sa future orientation professionnelle, entre souhaits personnels et disponibilités réelles. Venait ensuite la phase d'élaboration du cursus de la formation dans le respect intégral du référentiel établi par l'inspecteur compétent. Une synthèse des objectifs prescrits, dactylographiée et présentée sous la forme d'un tableau réalisé en code ASCII (les suites bureautiques balbutiaient à cette époque !), concrétisait cette première étape. Après son approbation par l'inspecteur, souvent admiratif du document produit, le travail d'ARIANE se poursuivait par l'organisation matérielle de la formation. Ses modalités et sa durée fluctuaient en fonction des situations individuelles rencontrées : tutorat sous l'égide d'un collègue spécialiste, stage en entreprise, études universitaires... Enfin, pendant la période effective d'acquisition des compétences requises, un suivi régulier de l'enseignant formé, en relation étroite avec ses encadrants, garantissait le bon déroulement du cycle d'apprentissage. Parfois il permettait de repérer d'éventuelles difficultés passagères, des moments de lassitude, et de promouvoir une remobilisation, une recharge en énergie positive. Car certains de ces agents contraints au changement subissaient cette évolution de leur carrière pendant que d'autres saisissaient l'occasion offerte en l'utilisant comme tremplin pour assouvir un désir de réorientation. Ce fonctionnement inédit d'ARIANE dissonait au sein des mœurs courantes de la MAFPEN : une réponse ciblée et personnalisée à un besoin précis de l'Institution versus une offre élitiste de sujets, parfois gadgets, didactiques plus souvent utiles à l'ego de ses promoteurs qu'à la multitude enseignante... Toutefois cette expérience singulière vécue sur deux années scolaires s'est avérée riche d'intérêt et de satisfaction à plusieurs égards : d'une part, elle a donné l'opportunité de découvrir une facette inhabituelle du monde de l'inspection avec des rapports humains dénués de hiérarchie intrinsèque ; d'autre part, elle a permis une ouverture insolite sur le plan professionnel par la pratique d'une fonction inaccoutumée, la collaboration active, directe, à l'évolution du statut professionnel d'adultes à l'avenir perturbé. Cependant cette activité extra-pédagogique, bien que gratifiante, absorbait une vitalité épuisante et doublement contrariée : la gestion exclusivement comptable du dispositif par l'Institution et la difficile compatibilité avec l'emploi du temps régulier et routinier de l'enseignant basique.

 

Cet emploi partiel se complétait par un demi-service au nouveau lycée Jean Monnet situé au nord-ouest de Montpellier. C'est Madame L., proviseure estimée pour ses compétences, sa probité et son humanité, qui eut l'honneur de diriger, à son ouverture, cet établissement flambant neuf. Il avait attiré en son sein nombre de professeurs agrégés de la place désireux marquer leur empreinte. Par exemple, en mathématiques, l'imposant physiquement Monsieur L. régnait en maître éclairé sur la discipline, en délaissant les avis de sa collègue certifiée, ignorant même la présence à mi-temps du titulaire académique de passage. Ce lycée se caractérisait par la proposition de l'arabe littéral en langue 3. Les deux classes de seconde littéraire avec cette troisième langue renfermaient une trentaine d'élèves de niveau très hétéroclite et avec des motivations différentes dans l'apprentissage de cet idiome : certains espéraient renforcer le lien avec leur origine ; d'autres cherchaient une ouverture culturelle au travers de cette initiation. La gestion pédagogique périlleuse de ces sections s'orientait vers une stratégie à deux axes complémentaires. Le premier objectif, au premier trimestre, visait à combler les lacunes, asseoir les pré-requis, et surtout encourager le maximum d'élèves à s'engager dans un effort salutaire et indispensable. Par la suite, le rythme s'accélérait et la densité des cours augmentait en vue de boucler le programme, obligation absolue pour les futurs lycéens des spécialités scientifiques ou économiques.

 

Le complément de service de la deuxième année d'action dans le dispositif ARIANE s'opérait au collège du Jeu de Mail à Montpellier. Cette petite structure du centre de la ville bénéficiait avantageusement de la carte scolaire en recrutant ses élèves sur une population relativement favorisée. Elle améliorait aussi son effectif de collégiens en acceptant certains enfants de soignants ou d'administratifs du Centre Hospitalier Universitaire situé à quelques centaines de mètres. Son espace d'accueil était le théâtre d'un festival de pugilats verbaux pluriquotidiens. En effet, sa principale, Madame H., femme fortement charpentée, et son adjointe, Madame S., de petit gabarit, s'invectivaient, certes en termes châtiés, au moindre prétexte, toujours futile, que le travail engendrait. Des portes constamment ouvertes de leurs bureaux contigus fusaient, entre deux moments de concentration simultanés, des reproches plus ou moins fondés sur les agissements réciproques. Ce climat malsain, de tension permanente, s'étendait assez naturellement à l'équipe enseignante qui se répartissait en plusieurs clans, les pro l'une, les pro l'autre et les indifférents... Cette ambiance peu amène se retrouvait l'année scolaire suivante, compensée toutefois par de vraies satisfactions générées par les succès professionnels et les relations humaines avec collègues et élèves.

 

Après cinq années de vagabondage pédagogique dans Montpellier et sa proche banlieue, la première, et dernière, nomination sur un poste définitif et fixe précisait l'affectation au collège La Voie Domitienne du Crès. Dès le premier contact en cette fin d'année scolaire, l'impression initiale ne présageait pas un accueil à la hauteur préconisée par le landerneau enseignant héraultais, à savoir le firmament des établissements scolaires. En effet, à la lecture de la fiche de vœux de classes et de périodes hebdomadaires de disponibilité pour la rentrée suivante, le principal-adjoint, René C., en charge de la répartition des services, montrait nettement sa réticence envers la seule demande notifiée : la vacance du mercredi matin. Il légitimait sa réserve en invoquant que cette possibilité se destinait aux enseignantes mamans. Selon ses mœurs, s'occuper des tâches concrètes, matérielles, de ses propres enfants demeurait un acte dévolu à une seule catégorie humaine, une spécificité genrée. En entendant la justification de la requête, Monsieur L., le principal, suggérait à son adjoint de donner satisfaction à son auteur. Pourtant, René se montrait généralement serviable, arrangeant, envers les collègues non inscrits dans sa liste des "bannis"... La première pré-rentrée s'opérait dans une ambiance agréable, joviale, où la joie des retrouvailles des "anciens" se mêlait à l'attention portée aux recrues du millésime, Eliane en histoire-géographie et René en mathématiques entre autres. Le sentiment liminaire mitigé de la venue initiale s'estompait progressivement : la renommée véhiculée ne semblait pas usurpée. Rapidement, Andrée, biologiste, suggérait l'adhésion à l'amicale des personnels du collège moyennant un modeste écot. Outre son rôle fédérateur au sein de l'établissement, cette structure informelle proposait un moment de convivialité en accompagnement de tout événement inhabituel : évolution du schéma familial, départ en retraite ou mutation d'un membre de l'équipe, etc. Parmi ses animateurs spontanés figurait le prolixe et sémillant angliciste Francis, au regard pétillant et malicieux, au sourire enjôleur et à la verve héréditaire imagée. Généralement, il ponctuait ces manifestations chaleureuses d'un écrit, prose ou poésie selon son humeur et son inspiration, que lui évoquait leur objet. Il insufflait aussi régulièrement la tenue de réunions confidentielles du groupe des professeurs d'anglais en compagnie de Christiane, Maggy, Rosine, et plus tard Lise. Seule cette matière organisait des rassemblements disciplinaires conviviaux. Les mathématiciens (Marie-Thérèse, Malou, Martine, Gisèle, René, ultérieurement Véronique) à l'esprit (trop) rigoureux ou imbu d'individualisme, peinaient à partager des temps d'échanges. La colonie des lettreux s'éparpillait au mieux en blocs affinitaires, parfois monolythiques, une situation probablement due à leur charge conséquente de travail, entre préparations diverses et corrections multiples, et à leur copieuse quantité : Josette, Geneviève F., Geneviève V., José, Robert, Marie-Thérèse, Marlène, Geneviève L., Gisèle, Bernard, etc. Le noyau compact et soudé de l'éducation physique et sportive (Annie, Dany, Patrick, Thierry, Olivier, Frédéric) unissait fréquemment l'utile et l'agréable. Pour certaines disciplines le cercle des enseignants était restreint : espagnol (Jacques, Yves, Nadine), technologie (la locomotive Jean-Pierre, Véronique...), physique (André et Corinne), biologie (Andrée, Maryse...), histoire-géographie (Alain, Eliane, Josiane, Gisèle). D'autres matières possédaient un effectif enseignant réduit à l'unité : allemand (Viviane), arts plastiques (Jacky), musique (Philippe). Des postes satellites fonctionnaient aussi de manière unitaire et indépendante : le centre de documentation pédagogique (Geneviève B., puis Geneviève M.), la vie scolaire avec sa conseillère principale d'éducation (Elisa), le centre d'information et d'orientation (Elisabeth), l'accueil (Christiane avec son langage direct...). Le personnel administratif (les deux Jackie, puis Sabine pour le secrétariat, et Danielle à l'intendance), toujours obligeant et prévenant, répondait activement à chaque sollicitation. Les agents techniques (Michel, le cuisinier, ses adjoints et adjointes, et à l'entretien Francis, Estève et le dilettante Hubert...) appréciaient ces rencontres ouvertes, empreintes de bienveillance mutuelle, de bonhomie, sans les masques du formalisme catégoriel des fonctions respectives. Cette atmosphère chaleureuse, fraternelle, de cet hétéroclite microcosme éducatif cressois survivait au fil des décennies avec une ardeur constante en partie par la volonté des directions successives : les principaux Jean-Paul, ex-mathématicien en mal de relations sympathiques, et Daniel ancien conseiller du Ministère soucieux du bon fonctionnement du collège ; les principaux-adjoints, feu Régis, transfuge de l'armée de l'air dont il avait conservé la rigueur et le sens du service efficace et Pierre, réservé et discret mais d'une efficience significative. Chacun de ces dirigeants, avec sa personnalité et ses marottes, s'adaptait aux usages en vigueur, s'imprégnait du climat ambiant, impulsait une transition subtile... Les tics comportementaux n'étaient pas l'apanage des instances gouvernantes : certains se manifestaient dans la classe enseignante par des rites plus ou moins inconscients de leurs auteurs. Ainsi, à chaque occasion qui leur était offerte, de manière immuable, la brochette des quatre (Bernard, André, Jacques et Yves), assis au fond de la salle des professeurs, papotaient, patientaient, observaient les agissements de leurs collègues. D'autres vibrionnaient de la machine à café à la photocopieuse en maugréant et insultant le temps trop volatile. D'autres encore relataient avec exubérance et nervosité les dernières mésaventures vécues la dernière séance. D'autres enfin, debout près de la rangée de radiateurs au centre de la vaste salle, devisaient futilement en scrutant, avec une certaine gourmandise, la venue déterminée de Francis le visage radieux. Car le tic de Francis consistait en un essaimage de groupe en groupe de sa petite histoire drôle quasi quotidienne qu'il racontait avec une délectation communicative...

 

Au plan professionnel, la population collégienne provenait des communes du Crès et de Vendargues. Comme dans toute la banlieue montpelliéraine, ces villages hébergeaient des habitants de tous milieux sociaux. Cette hétérogénéité socio-culturelle se ressentait naturellement dans la réalité des classes : l'encadrement familial agissait fondamentalement sur l'attitude générale des élèves, leur degré de motivation à apprendre et leur comportement individuel au sein du groupe. Les réfractaires à l'effort scolaire et au respect des règles isolés, ventilés et surtout non regroupés, les classes se géraient assez facilement, sereinement, souvent même dans une ambiance studieuse. Seul, Hugo, l'agité du bocal, officiellement hyperactif sous traitement idoine qu'il s'administrait lui-même selon son gré, bénéficiait d'un régime spécifique : l'isolement intégral à la vie scolaire. Cette atmosphère appliquée et le volontarisme quasi général des élèves donnaient le sentiment d'accomplir correctement son métier avec une relative efficacité, de remplir une fonction sociale utile : former de futurs citoyens par un apport de connaissances, de savoir-faire et de savoir-être. Toutefois, une évolution du nombre de cas hostiles aux obligations du système éducatif poignait dès la dizaine d'années d'exercice en ce lieu. Elle s'amplifiait au fil du temps et obligeait à des stratégies de coercition plus strictes... La transmission d'aptitudes, en l'occurrence d'expériences, s'exerçait aussi envers les futurs pédagogues sous la forme de tutorat. Curieusement, l'Institution sollicitait un enseignant sans formation initiale conventionnelle pour satisfaire le besoin de conseiller pédagogique. En effet, dans le cadre de leur cursus au sein de l'Institut Universitaire de Formation des Maîtres (IUFM), les professeurs stagiaires admis au CAPES effectuaient un stage en responsabilité dans une classe encadré par un professionnel expérimenté. Ces jeunes possédant une culture très pointue à la fois dans la matière et en sciences de l'éducation, il s'agissait principalement de proposer des ajustements mineurs et des conseils pratiques sur la conduite de la classe. Un critère essentiel de validation des compétences se résumait ainsi : "Confierait-on volontiers ses propres enfants à cet éducateur ?".  Car sans méthode universellement reconnue et efficace, chacun opère au mieux pour assurer la réussite de cette noble mission...

 

C'est dans ce collège de la Voie Domitienne que s'achevait cette carrière au service de l'Education Nationale. Plusieurs contingences incitaient à solliciter la cessation d'activité : le poids de la routine de ce travail intéressant, mais prenant et finalement éprouvant ; l'érosion de l'entrain antérieur, de la motivation auto-entretenue ; la difficulté d'adaptation aux conditions émergentes d'exercice du métier ; l'usure naturelle, psychologique et morale peut-être physique, liée à la pratique d'une activité intense et répétitive... Des circonstances favorables exceptionnelles, peu banales, rendaient cette requête effective. Le départ réel en retraite coïncidait avec la fin de l'année scolaire, au moment des vacances d'été. Différentes étapes jalonnaient la période située entre son annonce et sa réalité. Elles se ponctuaient par une série de derniers coups et dernières fois : le dernier trimestre, le dernier mois, la dernière évaluation, le dernier bulletin scolaire, le dernier conseil de classe, la dernière semaine, le dernier cours, la dernière arrivée au collège, le dernier repas à la cantine, le dernier jour, la dernière réunion... A chacun de ces stades, un état particulier envahissait l'être dans son intégralité. Ces dispositions singulières atteignaient leur apogée lors du traditionnel pot de fin d'année où s'égrenaient le nom des collègues en partance accompagné d'une dédicace personnalisée. Le discours "officiel" du chef d'établissement, en l'occurrence Daniel, empreint de la gravité obligée et du détachement amical de plusieurs années de cheminement commun procurait une vraie émotion, contenue au prix d'un effort exigeant, puisé dans les entrailles. Les paroles de bienveillance de Philippe, le président de l'amicale des personnels, moins solennelles mais autant sensibles, généraient un sentiment confus, ambigu, mêlant joie et mélancolie : le bonheur de la grâce immanente à la situation et une relative tristesse de l'éloignement probable de relations humaines. Dans le respect du rituel, Francis déclamait, avec son talent d'orateur reconnu, son "Petit vademecum du matheux retraité" concocté à l'occasion. Les regards lumineux, les sourires complices, les attitudes empathiques, les mots de sympathie, prononcés ou écrits pour la postérité, des collègues continuaient d'attiser des petites flammes toujours scintillantes et ajoutaient des petits plaisirs au bonheur présent.