Bandeau.

La journée commençait par le salut à Monsieur B dès le franchissement du seuil de la salle de classe. Chaque élève se dirigeait ensuite vers sa place et s'asseyait après le rangement de ses affaires scolaires dans le lieu adéquat de son banc d'écolier. En levant la tête, il lisait la date du jour en haut à droite du tableau qui dominait le bureau. Selon le moment ou l'humeur, elle était immédiatement oubliée telle une feuille d'un éphéméride qui s'envolerait sans être lue. Quelques fois, elle attirait le regard presque continuellement en se fixant sur la rétine. Elle donnait alors l'impressionqu'elle repérait un jour (comme ce 21 novembre 1956) qui durait une éternité, voire plus...  
 
En dessous, s'exposait avec force, parfois étonnement et incompréhension, une phrase, "dite de morale", qui pouvait être une "simple" citation d'un auteur "connu". Elle constituait le premier élément de l'apprentissage du jour. C'est pratiquement à cette unique occasion que Monsieur B s'adressait à l'ensemble des élèves. Après la lecture par l'un d'eux, il leur proposait de réagir oralement, commentait leurs interventions et indiquait son interprétation, la version "officielle". La majorité des futurs adultes tentait de s'approprier cette maxime, de la faire sienne pour la vie.
 
Face aux rangées des "grands", le problème quotidien était écrit sur le "petit" tableau rotatif près de la porte d'entrée. Quelques lignes présentaient une situation courante du monde, principalement rural, de l'époque et proposaient des questions pratiques qu'elle pouvait générer. Les réponses demandaient prioritairement du bon sens, une petite dose de réflexion et quelques manipulations des opérations basiques dont le summum était "la règle de trois". Les thèmes mis en scène concernaient des conversions de mesures physiques ou de temps, des calculs de vitesse ou de débit (les fameux "problèmes de robinets"), des actes de gestion financière (prix d'achat, de revient, de vente et bénéfice)...
 
Parmi les activités importantes de la matinée figurait la dictée. Monsieur B lisait une première fois le texte qu'il avait choisi. La diction se faisait à un rythme optimum avec un appui accentué sur les "liaisons" (par exemple, les matins "z"embrumés...). Chaque morceau de phrase était ensuite lu de manière syllabique avec une insistance encore plus appuyée sur les "s" ou les "e" : "la main mouillé-e- dans un gant-t- en peau..."). Une dernière lecture, avec autant de prévenance, achevait l'exercice. 
 
La séance de lecture individuelle s'effectuait à la reprise de la pause de la mi-journée. L'un après l'autre, les "petits" (CP,CE1) défilaient à la table située au fond de la salle. Monsieur B, assis sur sa chaise, avait ouvert le livre de lecture idoine à l'envers devant lui. Debout face à lui, les lecteurs en herbe ânonnaient les mots désignés par le crayon que le maître faisait filer sur les phrases à déchiffrer. Parfois Monsieur B corrigeait l'apprenti en lui indiquant la bonne prononciation, en expliquant à nouveau le "B-A-BA", les bases de la "méthode syllabique" de lecture. Tout-à-coup, le repère s'immobilisait : l'heure de la somnolence postprandiale pointait...  
 
Les après-midi étaient consacrés aux disciplines "secondaires", "d'éveil" ou artistiques. Ainsi, il arrivait à Monsieur B de rassembler certains élèves autour d'un banc d'écolier au milieu d'une rangée. Assis sur son plateau-table, les pieds posés sur le siège, il lisait un chapitre d'un énorme livre d'histoire ouvert sur ses genoux. De temps à autre, il interrompait sa lecture pour solliciter l'auditoire par des interrogations précises ou des demandes d'impressions. Les réactions lui fournissaient des occasions de rebondir, d'ajouter une remarque ou de préciser un élément. Ensuite, son regard retrouvait les lignes momentanément abandonnées et sa voie reprenait son flux professoral pour achever le cours prévu. D'autres matières contribuaient aussi à l'ouverture culturelle, à l'éclectisme des connaissances : la géographie, les "leçons de choses"... Par exemple, la mise en évidence de la notion de convection de l'air dans une pièce résultait d'une mise en situation simple mais convaincante. Monsieur B amenait une bougie allumée près de l'espace entre le dormant et le battant de la porte d'accès fermée. La flamme s'orientait vers l'intérieur ou vers l'extérieur de la pièce selon sa position. Chacun avait compris que l'air frais pénétrait au niveau du sol pour s'évacuer en hauteur : le principe de la circulation de l'air était manifeste ! Cette petite expérience imprimait sur les rétines les deux images des directions opposées de la lueur, de manière nette et indélébile.
 
L'entrainement de la mémoire, élément essentiel à la réussite de tout apprentissage, consistait en l'étude de poésies et de chansons. Les fables de La Fontaine pour leur moralité et les poèmes de Ronsard pour la proximité géographique de son lieu de naissance figuraient, entre autres, parmi les premières. Les seconds comportaient prioritairement La Marseillaise et le Chant des partisans qui étaient répétés collectivement. Des sessions individuelles de récitation ou de chant se déroulaient occasionnellement en fin de journée au pied de l'estrade près du bureau.
 
Avant de partir à la fin de la journée, Monsieur B donnait les "devoirs" pour la journée scolaire suivante. Ces petits travaux personnels à réaliser à la maison pouvaient consister à apprendre par cœur des tables de multiplication, une poésie ou une chanson, résoudre un court problème, écrire des phrases avec des mots imposés, rédiger un texte de quelques lignes sur un thème donné, étudier une leçon...