Bandeau.

Les récréations se déroulaient obligatoirement dans la cour, pratiquement sans surveillance de Monsieur B. Il n'intervenait que pour signaler leur terme en annonçant le retour en classe. Les activités pratiquées plus ou moins spontanément par les élèves variaient en fonction du temps, de leur âge et de l'humeur des meneurs du moment. Ces divertissements étaient classiques, communs à ces lieux : "jeu du béret", "balle aux prisonniers", ou encore "un, deux, trois soleil"... Parfois, elles s'inspiraient de l'actualité sportive, notamment le populaire Tour de France cycliste. En un endroit où les cailloux étaient moins denses, des "routes" étaient tracées sur le sol. Les participants se glissaient eux-mêmes dans le corps de champions cyclistes : Jacques AnquetilAndré DarrigadeLouison Bobet... Chacun était symbolisé par une bille personnelle et reconnaissable. Il la faisait progresser par pichenettes successives à tour de rôle... Quelques fois, les jeux pouvaient être empreints d'une certaine brutalité, par exemple les combats de "cavaliers" : un "petit" à califourchon sur le dos d'un "grand" devait déstabiliser une équipe adversaire jusqu'à la projeter à terre, par tous moyens possibles.
 
Les écoliers des écarts, filles ou garçons, avaient la possibilité de prendre leur déjeuner à la cantine communale. Elle était gérée par Madame L qui préparait le repas de la quarantaine d'inscrits chaque matin de classe. Des parents agriculteurs fournissaient des pommes de terre, des carottes ou autres légumes selon la saison. En achetant la viande chez le boucher du village, elle proposait au menu du jour des ragoûts, des pot-au-feu... Lorsque des œufs durs accompagnés d'une sauce blanche et de légumes verts étaient prévus, elle réquisitionnait certains convives pour l'écalage. Les estomacs emplis et les assiettes vides, les gosses sortaient jouer dans la cour. Mais il était impératif de terminer la portion servie ! Sinon, le lambin demeurait devant son écuelle, mâchant et remâchant la même bouchée de viande. La boulette roulait alternativement sous les molaires tantôt dextres, tantôt senestres. Elle se refusait à un mouvement longitudinal vers le fond de la cavité buccale. Etait-ce le gosier qui contrariait sa déglutition ? Pendant ce temps, il regardait ses camarades batifoler à l'extérieur... A l'heure de repartir pour l'école, Madame L autorisait le "puni" à abandonner son supplice, même sans l'assouvissement de la soumission !  
 
Le jeudi matin, jour de repos scolaire à cette époque, était réservé à un autre apprentissage, le catéchisme. Le père Paul, l'abbé C, rassemblaient ses ouailles dans la salle du presbytère jouxtant l'église communale. La séance débutait par l'interrogation de chaque "fidèle" sur les incantations précédentes en commençant par ses petits "protégés". La méthode fournissait le moyen facile aux paresseux rétifs à la catéchèse d'emmagasiner les quelques mots indispensables aux réponses attendues. Chaque intervention recevait une note, évidemment non divulguée...  Elle servait au classement pour la cérémonie de la "Communion solennelle", les premiers devant, bien entendu !
 
Le jeudi après-midi, les enfants de Villée se devaient d'être utiles à divers travaux de la ferme familiale. Quelques fois, ils se retrouvaient à plusieurs pour effectuer certaines tâches. Par exemple, ils passaient une paire d'heures dans une cave des parents d'André. Là, ils enlevaient les pousses des pommes de terre destinées à la nourriture des porcs en se racontant des histoires. A un autre moment, ils se rassemblaient avec Gérard qui avait pour mission la garde des chèvres sorties paître à l'extérieur. A une centaine de mètres de leur résidence habituelle, elles folâtraient dans les bois sans se soucier des leurs gardiens. Eux grimpaient dans les arbres, mettaient en scène leur imaginaire fertile et oubliaient leur devoir, l'objet de leur réunion en ce lieu. A l'approche du crépuscule obscurci par la végétation, un vent de panique envahissait les petits êtres fautifs. Le temps paraissait défiler trop vite, l'espace semblait démesuré...  Mais hasard et persévérance regroupaient les caprins et les humains !